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Le blog de cepheides

Le blog de cepheides

articles de vulgarisation en astronomie et sur la théorie de l'Évolution

paleontologie

Publié le par Céphéides
Publié dans : #paléontologie

 

allosaurus

   

 

     Cent-cinquante millions d’années, c’est la durée de la domination des dinosaures sur notre planète. Un chiffre difficile à concevoir… À titre de comparaison, l’existence de l’Homme civilisé ne court que sur quelques milliers d’années tandis que notre propre espèce, Homo sapiens, n’apparaît qu’il y a environ 300 000 ans (une durée 500 fois moins étendue que la présence des grands sauriens sur Terre).

 

     Il y a quelques mois, un lecteur m’a fait la remarque qu’un certain nombre d’articles du blog traitait des dinosaures mais sous la forme de sujets épars et que, en conséquence, il était parfois difficile de se faire une idée précise de la chronologie de leur présence. Nous allons donc essayer aujourd’hui de situer brièvement ce si long règne (des renvois aux articles connexes précédemment écrits seront signalés chaque fois que possible).

 

 

Avant les dinosaures

 

     Les dinosaures n’ont certainement pas été les premiers animaux à dominer la Terre. Se terminant au Permien, le paléozoïque (anciennement ère primaire) s’est étendu sur presque 300 millions d’années : c’est dire qu’il a pu s’en passer des choses tant d’un point de vue géologique (dérive des continents) que de celui des êtres vivants ! Quoi qu’il en soit, c’est lors de cette dernière période, le Permien, que la vie sur Terre va subir une extraordinaire catastrophe : la disparition de 95% des espèces marines et de 70% des espèces terrestres.

 

     Tout avait pourtant bien commencé avec, au début du paléozoïque, vers -540 millions d’années (MA), à une époque appelée le Cambrien, une fantastique diversification des espèces vivantes et notamment l’apparition d’animaux multicellulaires dotés de parties dures. Même si de nombreux fossiles antérieurs ont aujourd’hui été mis au jour, il n’en reste pas moins que cette apparition de tant d’espèces en seulement quelques millions d’années reste difficile à expliquer. Près de 290 millions d’années plus tard, à la fin du Permien, la vie est toujours là, différente bien entendu.

 

    Il n’existe alors qu’un seul supercontinent, la Pangée, principalement fixé dans l’hémisphère sud, entouré par un immense océan, la Panthalassa. Sur les terres, le climat est aride, les

la Pangée au Permien

glaces ayant quasiment disparu. Les plantes sont essentiellement représentées par des fougères et des gymnospermes et, déjà, vers la fin de la période, les premiers arbres, des conifères.

 

     Sur terre dominent les thérapsidés anciennement appelés reptiles mammaliens, lointains ancêtres des mammifères. C’est à cette époque qu’apparaît la thermorégulation comme en témoignent la présence de voiles dorsaux chez certaines espèces

pelycosaure (dimetrodon)

(pelycosaures). On trouve également des amphibiens, des arthropodes (insectes, arachnides, scorpions, etc.) et les ancêtres des dinosaures, encore relégués à un rang inférieur. Dans la mer, la vie grouille aussi sous la forme de céphalopodes (nautiles), d’arthropodes (crustacés), de brachiopodes (coquillages bivalves), des coraux (très différents des coraux actuels), et bien d’autres espèces encore.

 

      Durant des millions d’années, ces animaux ont vécu en bon équilibre jusqu’à l’extinction de masse de – 252 MA. En effet, brutalement, une fantastique éruption volcanique (les trapps de Sibérie) va déposer sa lave durant près d’un million d’années sur 4 km d’épaisseur et une surface presque aussi grande que celle de la France. Inutile de préciser que, sur un continent unique rappelons-le, les dégâts seront considérables, notamment pour la faune marine (effet de serre intense, variation de la salinité océane, pluies acides, etc.).

 

       C’est de ce bouleversement imprévu que les dinosaures vont profiter.

 

 

Articles connexes

la Terre boule de neige 

les insectes géants du carbonifère

les extinctions de masse 

l'explosion cambrienne 

le schiste de Burgess

la grande extinction du Permien

 

 

L’aube des dinosaures

 

     On sait bien que le malheur des uns fait le bonheur des autres : l’extinction permienne va permettre l’apparition de nouvelles espèces qui vont pouvoir conquérir les niches écologiques laissées vacantes. En effet, 20 millions d’années après la

Herrerasaurus

catastrophe (ce qui est peu en termes géologiques), les dinosaures avaient commencé à évoluer et à se diversifier. On voit alors apparaître les premiers théropodes (Herrerasaurus), lignée qui aboutira bien plus tard au célèbre Tyrannosaure rex mais également les ornithischiens (Pisanosaurus), lignée qui donnera par la suite les Triceratops.

 

     Les « ancêtres » des dinosaures faisaient partie d’un groupe, les archosauriens, ayant survécu à l’extinction, groupe qui s’est rapidement scindé en deux : d’un côté, les pseudosuschiens dont descendent nos actuels crocodiles et d’autre part, les métatarsaliens dont sont issus les dinosaures. Les pseudosuschiens seront les animaux dominants sur Terre au début du mésozoïque (anciennement ère secondaire), c'est-à-dire au Trias. Ils sont alors les plus nombreux et les plus diversifiés, regroupant des centaines d’espèces différentes plus ou moins crocodiliennes au sein desquelles certains spécimens pouvaient atteindre la taille d’un autobus. Les métatarsaliens avaient donc intérêt à faire profil bas

 

     On comprend donc pourquoi les premiers dinosaures étaient petits et discrets. Vers dix millions d’années après l’extinction de masse, les scientifiques ont mis au jour le fossile d’une sorte de petit reptile bipède d’un maximum d’un mètre de longueur

Eoraptor

et pesant au plus une cinquantaine de kg. Bipède et donc forcément rapide, l’Eoraptor devait être plutôt intelligent et possédait un métabolisme élevé. Voilà une des raisons qui expliquent le succès ultérieur des grands sauriens : pour éviter la compétition avec plus fort qu’eux, ils ont rapetissés ! De nombreux petits dinosaures ont par la suite été identifiés comme vivant à cette époque et ils étaient minuscules. Kongonaphon kely, par exemple, proche de l’ancêtre commun des ptérosaures et des dinosaures, ne mesurait pas plus de 10 cm…

Kangonaphon kely

Certains scientifiques avancent même l’idée qu’entre les premiers archosauriens et l’ancêtre commun que nous venons d’évoquer, la taille des individus a été divisée par deux. D’autres, à l’exemple des mammifères, utiliseront bien plus tard ce subterfuge adaptatif.

 

Articles connexes

spéciations et évolution des espèces

l’Évolution est-elle irréversible ?

hasard, contingence et nécessité 

 

 

L’explosion radiative des dinosaures

 

     On entend par explosion radiative l’évolution rapide, à partir d’un ancêtre commun, d’un ensemble d’espèces caractérisées par une grande diversité écologique. En d’autres termes, c’est la diffusion gagnante d’une famille d’espèces à l’ensemble de la Terre : à la fin du Crétacé, dernière partie du Mésozoïque (anciennement ère secondaire), les dinosaures représentaient à peu près 95% de la biomasse des vertébrés et dominaient pratiquement toutes les niches écologiques ! Comment un succès aussi considérable a-t-il pu se produire ?

 

    Outre la disparition de leurs rivaux anéantis par l’extinction permienne, plusieurs explications ont été avancées par les scientifiques mais la principale d’entre elles est l’apparition chez ces animaux de la bipédie. En effet, les reptiles ne possédaient jusque là que des membres latéraux qui permettaient certes le déplacement mais avec le gros inconvénient d’un abdomen et d’une queue traînant sur le sol d’où un ralentissement évident. Avec, de plus, l’obligation de voir une partie des efforts se diluer dans une reptation souvent poussive. Rien de cela avec les

Thecodontosaurus antiquus, un des premiers bipèdes

nouveaux intervenants qui, grâce à la bipédie, acquièrent quant à eux l’association d’une bonne stabilité corporelle et des pas plus longs leur conférant une locomotion plus fluide, tant du point de vue de la prédation que de la fuite éventuelle. Suite à une probable mutation conférant à ses premiers possesseurs cet avantage évolutif, la sélection naturelle a donc fait le reste avec le succès qu’on connaît.

 

      En quelques millions d’années, voilà les grands sauriens maîtres du monde. Très vite divisés en théropodes carnivores et en sauropodes herbivores, les espèces de dinosaures se diversifient et se multiplient avec conservation de la bipédie chez les carnivores mais retour à la quadrupédie pour la plupart des herbivores qui restent ainsi « plus proches du sol ».

 

      Pour mieux se défendre contre la prédation, les sauropodes vont petit à petit en venir à développer leur corpulence dans un voyage effrénée vers le gigantisme (ce qui obligera dans une espèce de course sans fin les théropodes à en faire de même). Au fil de dizaines de millions d’années d’évolution, on en arrivera à

supersaurus

voir apparaître des animaux tellement grands qu’aucun prédateur ne pourra les attaquer : par exemple, un supersaurus (ayant vécu au Jurassique supérieur entre – 157 et – 145 MA) mesurait environ 40 m de long (soit la taille d’un immeuble de dix étages) pour un poids de 50 tonnes. Il était doté d’un très long cou et, pour assurer l’équilibre de l’ensemble, également affublé d’une queue non moins longue (susceptible de surcroît de fouetter les indésirables) ; campé sur ses quatre énormes pattes semblables aux piliers d’un temple antique, il était hors de portée d’un allosaurus, prédateur de cette époque, qui ne mesurait « que » dix mètres de long pour un poids de 2,3 tonnes (voir l'image en en-tête). Ce dernier n’avait qu’un seul moyen pour manger du supersaurus : écarter un jeune du troupeau ou tomber sur un cadavre !

 

    Ajoutons qu’une autre explication à la conquête du monde par les grands sauriens réside dans la dérive des continents qui va progressivement fragmenter la Pangée, les éparpillant au point de les faire évoluer différemment avant de les replacer en compétition lors d’un nouveau rapprochement des terres, cette histoire se déroulant au fil de dizaines de millions d’années.

 

Articles connexes

le rythme de l’évolution des espèces 

la dérive des continents ou tectonique des plaques

la tentation la tentation du gigantisme

 

 

Un long règne indiscuté

 

     Durant ces cent-cinquante millions d’années de domination inconditionnelle, l’Évolution a permis l’apparition d’un grand nombre d’espèces de dinosaures : les scientifiques en ont identifié à ce jour un bon millier mais il en exista certainement beaucoup plus. Ce sont des millions de générations de grands sauriens qui se sont succédés en se transformant peu à peu mais en respectant toujours la distinction théropodes/sauropodes. La durée de vie de chaque individu était très certainement variable selon la corpulence : plus un animal était petit, plus son espérance de vie était faible. Les scientifiques estiment, par exemple, la durée de vie d’un gros dinosaure herbivore à environ 80 années alors que les petits ne pouvaient espérer que quelques années d’existence. Il faut également tenir compte du fait que, dans la Nature et cela même aujourd’hui, un animal sauvage a peu de chance de mourir effectivement de vieillesse…

 

Tyrannosaure tex, un succès en partie dû à l'endothermie

 

     Un autre élément permet d’expliquer la longue domination de ces animaux : contrairement à ce que l’on avait longtemps pensé, les paléontologues ont pu récemment démontrer que la majorité des dinosaures étaient endothermes, c’est-à-dire qu’ils avaient le sang chaud (ou en tout cas tiède) ce qui leur permettait de mieux s’adapter aux changements de température et d’être actifs toute l’année. Tous les dinosaures ? Non, certaines espèces étaient restées (ou redevenues) ectodermes à la façon des reptiles : c’est par exemple le cas des Triceratops, des Hadrosaures (les fameux dinosaures à bec de canard) ou encore des Stégosaures mais ces espèces étaient certainement minoritaires.

 

     En somme, les dinosaures étaient parfaitement adaptés à leur milieu et l’on peut se demander quelle aurait été leur évolution ultérieure : l’accession à une forme d’intelligence pseudo-humaine est peu probable puisqu’ils avaient eu 150 millions d’années pour l’acquérir. On peut en revanche penser qu’ils seraient encore les maîtres de notre planète si le hasard qui leur avait permis d’apparaître à la fin du Permien ne s’était pas retourné contre eux à la fin du Crétacé.

 

Articles connexes

l’empire des dinosaures

le rythme de l’évolution des espèces

 

Le crépuscule des dinosaures

 

     La météorite géante qui s’écrasa dans le golfe du Mexique aurait très bien pu éviter la Terre si sa trajectoire avait été presque imperceptiblement différente. On sait que Jupiter, la planète géante « proche » de la Terre, lui sert en quelque sorte de bouclier et, parmi les candidats météorites mortels, peu lui échappent. Avec quelques exceptions néanmoins… Il est ainsi vraisemblable que de nombreux astéroïdes mortifères ont dû frôler notre planète durant un laps de temps aussi étendu : cent cinquante millions d’années ! Mais il suffisait d’un seul : en l’occurrence un morceau de roche de 10 km de diamètre arrivant sur le sol à la vitesse de 11 km/seconde pour voir la terreur et la mort se répandre brutalement.

 

     Nous évoquions précédemment le gigantisme des dinosaures, notamment des sauropodes. Ceux-là, notamment, devaient s’alimenter quotidiennement en grande quantité. Les animaux qui n’ont pas été anéanti au moment de l’impact ou par les immenses feux de forêt, raz-de-marée et retombées des projections, se sont retrouvés face à un cataclysme alimentaire : l’hiver dit « nucléaire » provoqué par la stagnation en haute altitude des cendres diverses a fini par détruire, faute de photosynthèse, l’essentiel de la végétation restante. On estime qu’il fallut plusieurs mois pour que ces cendres retombent (le plus souvent sous forme de pluies acides) et plus encore pour recréer un semblant de végétation. Bien trop long pour nos grands sauriens…

 

    La conclusion s’impose d’elle-même ; un vide immense ayant été ouvert et puisque l’on sait que la Vie trouve toujours son chemin, ce sont d’autres animaux qui allaient profiter de l’aubaine en un scénario inversé du Permien : les mammifères jusque là restés fort discret…

 

     En somme, on peut associer la disparition des grands sauriens à un simple

premiers mammifères
premiers mammifères dominant... au hasard d'un météorite

hasard. Un hasard qui profita aux mammifères dont nous semblons être aujourd’hui la forme la plus accomplie, du moins en ce qui concerne l’intellect. On peut toutefois se demander si cette domination, si rapide en termes géologiques, ne risque pas de s’effacer tout aussi rapidement si l’on songe à la transformation radicale que fait subir Homo sapiens à notre planète : toutefois, si cela se produit ce ne sera assurément pas du fait du hasard…

 

Articles connexes

la disparition des dinosaures

des dinosaures de jadis aux oiseaux d'aujourd'hui ?

 

 

 

Addendum

Il est fréquemment fait allusion dans le corps de l’article à des « durées de temps » qu’il semble parfois difficile de se représenter : afin de mieux apprécier la « taille » des différentes époques, on trouvera ci-après une chronologie de la Terre ramenée à une année.

 

* 1er janvier, minuit : naissance de la Terre (- 4,6 milliards d’années)

* 5 mars : premières traces de vie (-3,8 milliards d’années)

* 30 novembre : premiers animaux hors de l’eau

* 16 décembre : apparition des dinosaures

* 26 décembre : disparition des dinosaures

* 31 décembre, 8h : premiers hominidés (- 10 MA)

* 31 décembre, 23h58 : grotte de Lascaux (- 20 000ans)

* 31 décembre, 1er coup de minuit, apogée de l’Empire romain

* 31 décembre, 12ème coup de minuit : aujourd’hui

 

Conclusion : les dinosaures dominèrent la planète durant environ une douzaine de jours et l’Homme moderne la domine depuis… une trentaine de secondes !

 

 

 

Sources

 

* Encyclopaedia Brittanica

* https://lewebpedagogique.com

* Wikipedia France :  fr.wikipedia.org/

* Science & Vie, février 2021

 

Images :

1. allosaurus (sourcesfineartamerica.com)

2. pelycosaure (sources : dinosauria.com)

3. Herrerasaurus (sources : abcdino.com))

4. Euraptor (sources : dkfindout.com)

5. Kangonaphon kely (sources : wikipedia)

6. Thecodontosaurus (sources : pixels.com)

7. Supersaurus (sources : pinterest.com)

8. Tyrannosaure rex (sources : www.futura-sciences.com)

9. premiers mammifères (sources : 24matins.fr)

 

 

 

 


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mise à jour : 6 septembre 2023

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Publié le par cepheides
Publié dans : #Évolution, #paléontologie
le carbonifère : insectes, fougères géantes et premiers arbres à écorce

 

 

     Nous allons évoquer une période ancienne, très ancienne, appelée le carbonifère, une époque appartenant au paléozoïque supérieur (autrement dit l’ère primaire) et s’étendant de – 359 à – 299 millions d’années (Ma). Notons toutefois qu’il s’agit là de chiffres difficiles à concevoir par le cerveau humain quand on sait que nous paraissent déjà immenses les environ 10 000 années de présence sur Terre de l’homme dit moderne. Inaugurée par une extinction de masse, le carbonifère dura une soixantaine de millions d’années au cours desquels la Terre se transforma profondément.

 

 

 Extinction de masse du dévonien

 

     C’est à la fin de la période de l’ère primaire précédente, le dévonien, qu’une très importante extinction de masse fit disparaître 70% des animaux marins. La Terre était alors occupée par un seul continent situé au pôle sud tandis qu’un chapelet d’îles et d’archipels s’étalait à l’équateur : tout le reste n’était qu’un immense océan. Sur le continent unique, la température était élevée avec un indice hygrométrique important : chaleur et humidité, il n’en fallait pas plus pour que s’étale sur terre une végétation

l'extinction dévonienne commença par les océans qui s'étouffèrent

luxuriante où régnaient en maîtres les insectes, le reste de la faune étant quasi-inexistant. C’est dans l’océan que la diversité foisonnait : éponges, coraux, brachiopodes, nautiloïdes, trilobites auxquels il faut ajouter des poissons de toutes sortes. Tout ce petit monde proliférait dans des eaux chaudes et lumineuses et c’est alors que se produisit la deuxième grande extinction  de masse de l’histoire de la Terre (la première remontait à l’ordovicien, 100 Ma auparavant).

 

     L’extinction dévonienne ne fut pas brutale et s’étendit sur des dizaines de milliers d’années. Inaugurée par un réchauffement climatique, elle se traduisit par l’apparition de séismes sous-marins et d’émissions de gaz surchauffés qui entraînèrent un manque d’oxygène progressif de l'océan puis de l'atmosphère (appelé événement Kellwasser) s’ajoutant à l’empoisonnement de l’eau par des métaux lourds.  L’ensemble aboutit à la destruction massive de la faune marine. Il faudra ensuite attendre environ 250 000 ans avant que les arbres produisent suffisamment d’oxygène et que les températures se stabilisent pour initier un renouveau. Mais l’extinction aura détruit les ¾ des animaux marins, eux qui représentaient à cette époque l’essentiel de la vie sur Terre.

 

 

Le carbonifère

 

     Succédant immédiatement au dévonien et à sa terrible extinction de masse, le carbonifère doit son nom au fait que l’époque fut particulièrement riche en végétaux, leur fossilisation ayant secondairement donné naissance à la houille si indispensable à l’espèce humaine lors de l’avènement de l’’époque industrielle. Un processus d’autant plus actif que c’est à cette époque qu’apparurent les premiers arbres revêtus d’écorce dont la sédimentation consécutive, par exemple, à une inondation ou à un incendie produisait du charbon.

 

     Le carbonifère commence par une très importante transgression marine (c’est-à-dire l’envahissement des terres par la mer) qui concerne toutes les masses continentales avec d’importants dépôts de calcaire.

 

     Du point de vue de la tectonique des plaques, la période se traduit par de grands

changements avec la fusion des plaques américaine, européenne et gondwanienne (le Gondwana étant une partie du supercontinent précédent) pour former un nouveau supercontinent appelé Pangée (qui subsistera jusqu’au Trias, à l’ère secondaire, soit près de 60 millions d’années plus tard). Tout autour de la Pangée s’étend un océan unique nommé Panthalasa et une mer intérieure, la Paléothetys.

 

     L’érosion qui accompagne les bouleversements géologiques et la luxuriance, voire l’opulence de la végétation colonisant le continent ont pour principale conséquence de faire considérablement baisser le taux de CO2 de l’air et, du même coup, la température globale de la planète : celle-ci s’ajuste en fonction de la latitude, les terres du pôle sud se couvrant de glace.

 

    Ces différences de température vont avoir pour effet de permettre le développement d’arbres à feuilles caduques dans les zones tempérées tandis que les grandes forêts houillères s’étendent tout au long de l’équateur. Dans les zones tempérées, les fougères aux feuilles à sporanges (c'est-à-dire des organes plus ou moins cachés contenant les spores) se voient concurrencées par d’autres espèces de fougères dont les feuilles portent des graines mieux protégées (par un ovaire) et plus facilement accessibles,  notamment par les insectes pollinisateurs : c’est le point de départ des plantes à fleurs qui coloniseront secondairement la planète.

 

    Ces changements, certes progressifs mais durables, vont bien sûr également concerner la faune.

 

 

La faune du carbonifère

 

     Dans la mer, la vie est particulièrement animée avec notamment une grande activité des coraux, qu’ils soient coloniaux ou solitaires. Les brachiopodes (animaux à coquilles bivalves) ont également un succès évolutif certain (il n’en reste aujourd’hui que quelques espèces relictuelles, c’est-à-dire peuplant un habitat restreint où ils sont peu concurrencés). La Paléothétys est également peuplée par des animaux présents depuis le début du paléozoïque (et qui subsistent encore aujourd’hui avec succès) : les échinodermes tels étoiles et concombres de mer, oursins, etc. Ces animaux dont l’apparition remonte à – 525 millions d’années (voire plus avant encore) se sont finalement peu transformés depuis le carbonifère où ils prospèrent : les scientifiques

trilobite, arthropode dont le déclin commença au carbonifère

évoquent environ 13 000 espèces aujourd’hui éteintes contre 7 000 encore bien présentes. De la même façon, les mollusques (moules, coques, huîtres, etc.) se développent à cette époque de manière satisfaisante. En revanche, les trilobites, ces arthropodes marins qui existent depuis le cambrien (- 540/ - 485 Ma) commencent à décliner : ils disparaitront définitivement lors de l’extinction de masse du permien (- 250 Ma). Signalons enfin la présence et le développement des requins, existant depuis le dévonien mais qui présentent alors des formes plutôt étranges à l’instar des requins-enclumes…

 

     C’est sur terre que le carbonifère réserve quelques surprises : il grouille de vie ! On y trouve toutes sortes d’habitants, à commencer par les insectes déjà présents à la période précédente : le sol est le terrain de chasse de mille-pattes, de scorpions, de toutes sortes d’araignées qui se faufilent entre fougères géantes et premiers conifères tandis que planent au dessus de ce petit monde une foule d’insectes ailés. C’est à cet univers assez surprenant que nous allons à présent nous intéresser.

 

 

Le monde des insectes géants

 

     Jusqu’à récemment, les scientifiques étaient d’accord pour affirmer que les insectes vivant au carbonifère étaient des géants comparés à ceux d’aujourd’hui et que leur transformation au fil des temps géologiques étaient allée vers leur rapetissement. C’est sûrement vrai pour certains d’entre eux comme on le verra par la suite. Toutefois, croire qu’il s’agit là d’une règle absolue semble illusoire à la lumière des découvertes récentes. En réalité, de très petits insectes prospéraient également à cette période et il aura fallu bien du temps pour s’en convaincre.

 

     Il est vrai que la diversité des insectes encore aujourd’hui est telle que les experts scientifiques sont dans l’incapacité de les compter. À ce jour, on a décrit environ un million d’espèces différentes mais on estime qu’il en existerait probablement dix fois plus, une grande partie d’entre elles étant présente dans les canopées des grandes forêts tropicales, notamment amazonienne. Il est même suggéré que, une extinction de masse étant actuellement en cours en raison de la présence délétère de l’Homme, la plupart de ces espèces auront disparu avant même d’avoir été identifiées.

 

    Mais des insectes géants existaient bien au carbonifère et ils étaient très certainement effrayants pour nos cerveaux plutôt habitués à des insectes de taille (généralement) relativement modeste. Imaginez : survolant marais, étangs et cours d’eau, ou bien cachés dans les fougères et les arbres primitifs, ces géants pourchassaient, tuaient et dévoraient tout ce qui bougeait, y compris leurs propres congénères. Citons sommairement quelques uns des plus célèbres :

 

  • Meganeura Monui est probablement l’insecte le plus emblématique du carbonifère. Il s’agit d’une libellule géante dont l’envergure pouvait dépasser les 70 cm pour un poids de 150 grammes. Disons pour fixer les esprits que cette libellule avait une carrure digne d’un goéland ou d’un faucon. Elle affichait un abdomen
    taille de meganeura comparée à celle d'un homme
    particulièrement allongé et possédait quatre grandes ailes renforcées par des nervures et fixées à angle droit à son thorax.  Ses six pattes articulées étaient recouvertes d’épines pour accrocher ses victimes. Sa tête était dotée d’yeux énormes susceptibles d’observer autour d’elle à 360° et s’ornait également de pièces buccales destinées à mordre. Après avoir repéré une proie, les scientifiques ont calculé qu’elle pouvait fondre sur elle à la vitesse prodigieuse de 70 km/h car, contrairement aux libellules actuelles qui chassent « postées », elle attaquait en vol. Elle n’avait d’ailleurs que l’embarras du choix tant la terre était grouillante de vie : cafards, blattes, punaises, cigales, scarabées, moustiques, guêpes, termites, fourmis, petits reptiles, etc. Le bourdonnement permanent de l’atmosphère devait être assourdissant si l’on en juge par une anecdote rapportée par Darwin lui-même : il raconte que lors de son périple à bord du Beagle, il fit escale dans la baie de Rio de Janeiro, alors encore peu habitée. Le bateau mouilla à plusieurs encablures de la rive, donc loin du rivage, et pourtant le naturaliste anglais eut du mal à dormir tant un bourdonnement continu dominait tous les autres bruits naturels. Il s’agissait du bruissement de la vie nocturne des nombreux insectes, bruissement parait-il encore plus intense le jour. Et on était au XIXème siècle : on imagine aisément ce que cela devait être au carbonifère !

 

  • Rampant dans les sous-bois des forêts tropicales de la fin du carbonifère (et du début du permien, l’époque suivante), Arthropleura était un gigantesque mille-pattes. Qu’on en juge : il pouvait atteindre 2 m de long (voire un peu plus) pour une largeur de 50 cm ! Heureusement pour ses contemporains, il était herbivore, du moins si l’on s’en réfère aux traces de pollen découvertes dans son tube digestif fossilisé. Toutefois, la présence de deux pinces situées sur le devant de son corps et d’une très puissante mâchoire laisse encore planer un doute…

 

 

  • Megarachne, quant à elle, comme son appellation l’indique, relève plutôt de la famille des arachnides. D’ailleurs, lors de la découverte de son fossile, les scientifiques pensèrent tout simplement avoir mis au jour la plus grande araignée
    megarachne (vue d'artiste)
    ayant jamais existé sur Terre. En réalité, l’animal est à présent classé comme un euryptide, c’est-à-dire plutôt un animal marin se rapprochant des scorpions de mer. C’était néanmoins un être impressionnant car d’une longueur de 35 cm avec une distance de 60 cm entre les pattes supérieures. À titre de comparaison, une des araignées actuellement parmi les plus grosses du monde est la tarentule Goliath mangeuse d’oiseaux dont la taille avoisine les 30 cm tandis qu’elle possède des crocs de 2,5 cm.  On peut également citer, vivant dans les forêts tropicales d’Amérique du sud, la femelle Theraphosa (30 cm d’envergure pour un poids de 170 grammes) qui, outre ses crocs pouvant occasionner une très
    theraphosa blondi (Brésil, Guyane, Vénézuela)
    forte douleur chez l’Homme, est capable de lancer des poils urticants entraînant de fort douloureuses démangeaisons. Quoi qu’il en soit, au carbonifère Megarachne occupait le sommet de la prédation (seule Meganeura décrite plus haut avait une taille susceptible de rivaliser avec la sienne). Elle ressemblait effectivement à une araignée géante (d’où l’erreur des premiers observateurs) en raison de la forme de sa carapace, de son abdomen sphérique et de ses yeux circulaires de 15 mm, engoncés entre deux autres yeux, au centre de sa tête. On ne sait pas si son corps était recouvert de poils comme celui d’une mygale.

 

     Au cours des âges géologiques, il existe peu de cas relevant d’un gigantisme aussi absolu. Nous avons déjà évoqué la course au gigantisme représentée par l’apparition d’une classe spéciale de dinosaures, les sauropodes (voir le sujet : la tentation du gigantisme) mais le contexte était bien différent. Quelles peuvent être les explications d’un tel phénomène au carbonifère ?

 

 

Pourquoi des insectes géants au carbonifère ?

 

     L’explication longtemps avancée par les scientifiques concerne le taux d’oxygène dans l’atmosphère de cette époque. Aujourd’hui, celui-ci est voisin de 21% (et a d’ailleurs tendance à baisser imperceptiblement) contre 35 % à l’époque que nous évoquons. Ce taux élevé était la conséquence des milliers d’années précédents où, comme nous l’avons déjà dit, les arbres ont peu à peu reconstitué le stock d’O2 mis à mal lors de l’extinction dévonienne. Or, araignées et insectes ont besoin de beaucoup d’oxygène pour grandir et il est vrai que, par la suite, la raréfaction des forêts et la chute concomitante du taux d’oxygène ont certainement eu raison du mille-pattes Arthropleura, voire peut-être aussi de Megarachne qui devait étouffer avec un taux d’oxygène progressivement réduit.

 

     Il existe pourtant d’autres raisons. Ces insectes géants, on l’a vu, occupaient le haut de l’échelle de prédation puisque leur taille était un avantage décisif : nourriture abondante, taux d’oxygène maximal et aucun prédateur réel expliquent leur succès adaptatif. Jusqu’à l’apparition des vertébrés qui, venus de la mer, colonisèrent progressivement les terres. Or, les reptiles planeurs puis volants firent leur apparition et ils chassaient les mêmes proies. La concurrence devint féroce. Enfin, dernier changement et non des moindres, l’apparition des précurseurs des plantes à fleurs autour des étangs et des lacs où se développaient les libellules géantes entraînèrent un changement complet de l’écosystème. Tous ces éléments conjugués furent fatals aux derniers insectes géants…

 

 

 

 

Il est intéressant de constater que la Vie, toujours, partout, essaie de se frayer un chemin et qu’elle est opportuniste. Les insectes du carbonifère ont accru leur taille – et donc leur indice de prédation – en profitant de circonstances particulières qui ne se sont jamais reconstituées par la suite et c’est la disparition de ces facteurs favorisants qui précipita leur chute. On retrouve là le hasard mélangé à un certain déterminisme, ce que le paléontologue Stephen J. Gould résumait sous le terme de contingence. Quelques dizaines de millions d’années plus tard, après des débuts plutôt modestes, d’autres populations animales allaient également profiter de circonstances favorables et occuper l’espace alors laissé vacant : les dinosaures dont le règne s’étalera sur plus de 160 millions d’années.

 

 

 

 

 

Sources :

 

 

Images :

  1.  carbonifère (sources : palaeopost.blogspot.com )
  2.  extinction dévonienne (sources : bbc.com)
  3.  la Pangée à la fin du carbonifère (sources : geocaching.com )
  4.  trilobite (sources : landbeforetime.wikia.com)
  5.   meganeura (sources : sharksprehistory.blogspot.com )
  6.  megarachne (vue d'artiste) (sources : youtube.com )
  7.  theraphosa blondi sources : exotic-animals.org)

 

 

 

Mots-clés : ordovicien - dévonien - extinction de masse - transgression marine - Gondwana - Paléotéthys

 

 

 

Sujets apparentés sur le blog

 

1. les extinctions de masse

2. la dérive des continents ou tectonique des plaques

3. la tentation du gigantisme

 

 

 

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mise à jour : 25 mars 3023

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Publié le par cepheides
Publié dans : #Évolution, #paléontologie
archéoptéryx : dinosaure volant ou oiseau véritable ?

 

 

 

   Le mot « dinosaure » a été formé à partir du grec ancien δεινός / deinόs (« terriblement grand ») et σαùρος / saûros (« lézard »). C’est dire que, dès la découverte des premiers fossiles de ces animaux, les scientifiques avaient avant tout suspecté une relation entre eux et les reptiles. D’ailleurs, ces bêtes énigmatiques pour l’époque étaient également appelés « grands sauriens », saurien désignant un reptile comme le lézard ou le caméléon. Il faut dire que les squelettes immenses, parfois reconstitués avec difficulté, « donnaient l’impression » de rappeler quelque part la classe des reptiliens. On ne possédait alors pas d’éléments décrivant l’aspect extérieur des dinosaures, s’ils portaient des écailles ou des plumes, quels étaient leurs comportements réels, etc. Aujourd’hui, notamment avec les extraordinaires fossiles récemment mis au jour en Chine, on en sait un peu plus et le problème de l’origine des grands sauriens semble plus complexe que prévu…

 

 

 

Les différentes lignées de dinosaures

 

   Peu après leur apparition il y a 225 millions d’années, les

saurischien sauropode

dinosaures se séparent en deux branches : les saurischiens et les ornithischiens. La différence entre ces deux groupes est d’ordre anatomique : les premiers, les saurischiens (herbivores ou carnassiers), ont un bassin de lézard (pubis orienté vers l’avant) tandis que les ornithischiens (herbivores) ont un bassin comme celui des oiseaux (pubis vers l’arrière) d’où leur autre nom d’avipelviens. Les saurischiens se divisent à leur tour en deux familles différentes, les sauropodes (herbivores)

saurischien théropode

et les théropodes (carnassiers). Or - et c’est ici que se situe un paradoxe - on est pratiquement certain aujourd’hui que les oiseaux, seuls descendants des dinosaures, se sont formés à

partir des théropodes (les dinosaures qui avaient primitivement un pubis de lézard) : nous aurons l’occasion d’y revenir.

 

 

Première piste : l’archéoptéryx, oiseau archaïque ?

 

   Le premier fossile d’archéoptéryx a été découvert en 1876 en Allemagne (plus précisément sur le site de Blumenberg près de Eichstätt). D’emblée, il pose un problème aux scientifiques puisqu’ils s’interrogent : a-t-on affaire à un oiseau très archaïque ou encore à un dinosaure volant à plumes ? Quelques « spécimens » supplémentaires plus tard, il semble bien que nous soyons face à un animal de transition entre dinosaures et oiseaux. Ayant vécu à la fin du Jurassique, il y a environ 150 millions d’années, archéoptéryx était semble-t-il capable de voler mais s‘agissait-il d’un simple vol plané (en s’élançant par exemple d’un arbre ou d’une hauteur) ? Des études récentes (2017) semblent prouver qu’il était capable de battre des ailes

premier fossile d'archéoptryx découvert en Allemagne

pour voler, probablement pas à la manière des oiseaux actuels mais plutôt comme les nageurs de brasse-papillon. Son anatomie lui interdisait également de décoller comme les oiseaux modernes mais, après tout, de nos jours, c’est aussi le cas de l’albatros qui arrive pourtant bien à quitter le sol après une course parfois approximative…

 

   Archéoptéryx était couvert de plumes dont on a récemment démontré qu’elles étaient noires. Il possédait nombre de caractères le rapprochant des dinosaures théropodes comme, entre autres, des ailes pourvues de trois doigts griffus, un museau « très dinosaurien », une mâchoire avec des alvéoles renfermant des dents pointues, loin évidemment des becs cornus des oiseaux actuels.

 

   La paléontologie chinoise, en plein essor grâce à des sites de fossiles à la conservation remarquable, a récemment apporté une réponse avec la découverte de nouveaux spécimens d’archéoptéryx et apparentés (anchiornis). Les scientifiques purent ainsi mettre en évidence chez ces individus le museau assez plat et des régions postérieures aux orbites assez étendues : absents chez les oiseaux, ces caractères morphologiques sont ceux que l’on connait chez les vélociraptors et autres microraptors et, de ce fait, notre archéoptéryx retrouve, 150 ans après sa découverte, son statut vraisemblable, non pas d’oiseau mais de dinosaure volant.

 

 

Les ancêtres des oiseaux : les maniraptoriens

 

   Il y a quelques années, en cherchant à « systématiser » l’origine des oiseaux, les scientifiques se sont particulièrement intéressés à un groupe (clade) bien particulier de dinosaures

maniraptorien (ici, microraptor)

théropodes nommés maniraptoras (« mains préhensiles ») qui vivaient au Jurassique et au Crétacé (et qui incluait les vélociraptors). Pourquoi ? parce que ces dinosaures présentent des caractéristiques très particulières qui, comme on va le voir, les rapprochent de ce que deviendront les oiseaux.

 

          * les maniraptoriens ont de longs bras et mains, des plumes, une queue raide et un pubis allongé pointant vers l’arrière (caractéristique des oiseaux)

 

          * leur système respiratoire est porteur de propriétés typiquement aviaires. Pour comprendre, revenons un instant sur la manière de respirer des oiseaux. Ceux-ci ne respirent pas comme les mammifères : l’air entre de façon continue dans leurs poumons dont la structure est capillaire et non alvéolaire. Pas d’alvéoles, certes, mais des sacs aériens dont certains s’infiltrent dans les os (qui sont creux ce qui allège considérablement le vol). Au repos (et durant le sommeil), les poumons varient en amplitude mais sont bloqués durant le vol. Cette synergie poumons-sacs aériens autorise les énormes besoins en énergie demandés par le vol. De plus, le système permet également une température corporelle constante, plus élevée que chez les mammifères. Eh bien, les maniraptoriens sont les seuls dinosaures possédant un système respiratoire voisin (bréchet et sternum étant remplacés par des côtes supplémentaires dans leur abdomen).

 

          * les plumes : les rémiges (grandes plumes des ailes des oiseaux aussi appelés pennes) ont été identifiés chez certains maniraptoriens (dont les vélociraptors, n’en déplaise à « Jurassic Park »). Or, la plupart de ces dinosaures ne volaient pas ce qui laisse supposer une fonction différente pour les plumes : camouflage probablement, sélection sexuelle, peut-

velociraptor

être, comme on l’a déjà noté dans ce blog pour bien des oiseaux ou, plus simplement encore, protection contre la perte de chaleur ce qui laisserait alors supposer qu’ils étaient homéothermes, qu’ils avaient le sang chaud. Du coup, la réutilisation ultérieure des plumes pour une autre fonction (le vol) est ici une exaptation, c’est-à-dire, selon Stephen J. Gould, une adaptation sélective différente de la fonction initialement prévue.

 

   Les arguments en faveur de la transformation d’un sous-groupe de théropodes, les maniraptoriens, en oiseaux semblent donc assez solides.

 

 

Des dinosaures…

 

   Le règne des dinosaures a pris fin, au crétacé, il y a 66 millions d’années lorsqu’un astéroïde gigantesque vint frapper la presqu’île du Yucatan, au Mexique, et supprima la presque totalité de la vie de notre planète : ces animaux auront donc exercé leur supériorité sur le reste du vivant durant plus de cent-soixante millions d’années. 160 millions d’années  ! Voilà un chiffre qui n’est pas facile à visualiser lorsqu’on a déjà du mal à comprendre ce que représente sur Terre la présence de l’homme moderne, un peu plus de 5000 ans. On peut dire autrement : l’homme moderne a vécu 0,003% de la durée de la présence des dinosaures sur Terre… Ce rappel des durées immenses qui nous séparent du crétacé n’est pas anodin : il permet de concevoir comment, peu à peu, sous la pression de la sélection naturelle, d’avantages sélectifs en avantages sélectifs, certains dinosaures ont pu se perpétuer en changeant totalement de forme pour devenir le groupe abondant et diversifié des oiseaux.

 

 

…aux  oiseaux (petit rappel)

 

   Les oiseaux forment la classe des Aves. Ce sont des animaux

Gros Bec de Guyanne : des espèces d'oiseaux...

vertébrés, à quatre membres dont deux sont des ailes ce qui permet (pour l’immense majorité d’entre eux) le vol. En 66 millions d’années (depuis la météorite de la fin du crétacé), ils ont eu le temps d’apparaître, de s’adapter et de se diversifier puisqu’on compte près de 10 500 espèces d’oiseaux recensées (en 2016).

 

   Ils possèdent en commun, à différents degrés variés, des plumes ou des écailles cornées (ou les deux), une mâchoire dépourvue de dents (contrairement à l’archéoptéryx) mais enveloppée d’une gaine cornée formant un bec, une queue courte et, surtout, des membres antérieurs transformés en ailes (le

... fort différentes (ici, un serin européen)

plus souvent fonctionnelles mais pas toujours) ainsi que des pattes arrières qui sont seules à permettre la progression au sol ou dans l’eau. Ils sont par ailleurs homéothermes. Enfin,

caractère à ne pas oublier, ils sont tous ovipares ce qui veut dire qu’ils pondent des œufs entourés d’une fine coquille que les parents devront couver un certain temps pour assurer le développement de leur progéniture.

 

 

Une transformation aviaire sur une très longue durée

 

   Longtemps on a cru que, dans le règne animal, les oiseaux étaient une sorte d’intermédiaire entre les reptiles et les mammifères.. On sait aujourd’hui qu’il ne s’agissait que d’une hypothèse qui arrangeait notre ignorance. La phylogénétique moléculaire nous apprend que le groupe actuel le plus proche de celui des oiseaux est le groupe des crocodiliens.

 

   La paléontologie laisse supposer, avec, on l’a dit, des arguments plutôt convaincants, que ce sont en fait des dinosaures théropodes qui ont donné naissance aux oiseaux, et plus particulièrement le groupe des maniraptoriens (voir plus haut dans le texte).

 

   Une discipline spécialisée de la biologie évolutive appelée néontologie a étudié l’anatomie comparée des oiseaux pour en déterminer l’évolution récente et ses conclusions vont dans le même sens. De son côté, la cladistique (qui est, rappelons-le, la reconstruction des relations de parentés entre les êtres vivants au moyen de « cellules » appelées clades dans lesquels les individus retenus sont plus apparentés entre eux qu’avec n’importe quel autre groupe) a également conclu que les oiseaux sont bien issus des dinosaures théropodes.

 

   La transformation dinosaures-oiseaux s’est faite au cours des millions d’années qui nous séparent du crétacé et, comme pour les humains, il n’y a pas de chaînon manquant (voir l’article : le mythe du chaînon manquant). Cela veut dire que, progressivement, avec parfois des retours en arrière et des

derniers descendants carnivores des théropodes : ici, un aigle royal

périodes de stase, de plus en plus de caractéristiques aviaires sont apparues chez des dinosaures de moins en moins « sauriens ». Une fois l’essentiel réuni, lorsque les propriétés anatomiques principales des oiseaux furent suffisamment présentes, ce fut une explosion évolutionnaire et la diversification que nous connaissons. Comme pour les humains donc, il n’y a pas un « ancêtre » commun à tous ces oiseaux mais des espèces et des individus porteurs progressivement de plus en plus de caractéristiques aviaires. Cette « aviarisation » de certains dinosaures théropodes a commencé bien avant la catastrophe du crétacé et a permis à cette branche très particulière de résister à la grande extinction qui emporta tous leurs cousins. Ce que l’on ne sait pas, en revanche, c’est la raison de cette survie lors de la catastrophe : simple bonne fortune donc hasard ou déjà adaptation à des circonstances nouvelles ? On pourrait se poser la même question pour d’autres survivants (je pense par exemple aux crocodiliens).

 

   Les grands sauriens ont, durant des millions d’années semble-t-il, bridé l’expansion des mammifères et il aura fallu attendre la disparition des plus agressifs et volumineux d’entre eux pour que cette libération se produise. Dans le même temps, on peut également avancer que d’autres dinosaures - les oiseaux - n’ont pas empêché la diffusion radiative des mammifères tout en réussissant leur occupation d’un écosystème très important. On peut en retenir que la nature est toujours une notion d’équilibre ce que certains humains, de nos jours, semblent oublier… à leurs risques et périls.

 

 

Brève 1 : les plumes avant le vol !

 

   Depuis la découverte de dinosaures à plumes en Chine, il est établi que les oiseaux sont issus des dinosaures théropodes. Les nombreux fossiles de ces animaux révèlent que les plumes sont apparues d’abord sous forme de duvets colorés, utiles pour préserver la chaleur du corps et s’attirer l’intérêt des femelles. La capacité de voler n’est venue qu’après, au terme d’une lente et profonde modification de la morphologie des dinosaures aviens.

   Zhenyuanlong est un dinosaure à plumes découvert à Jinzhou, en Chine. C’est l’un des nombreux fossiles découverts récemment qui montrent que les dinosaures théropodes ont longuement évolué avant même l’apparition de la capacité à voler.

   Rendre le vol possible, séduire une femelle ou intimider un rival, retenir la chaleur corporelle, protéger les œufs pendant la couvaison… Les plumes ont tant d’usages qu’il a été difficile de comprendre quelle fut leur première fonction.

  La transition entre dinosaures et oiseaux a couru sur des dizaines de millions d’années d’évolution. Elle a été si progressive qu’il n’existe pas de distinction claire entre « oiseaux » et « non-oiseaux ».

(Pour la Science, Hors-Série n°119, mai-juin 2023)

 

 

Sources

 

1. wikipedia.org

2. jurassic-world.com

3. futura-sciences.com

4. lefigaro.fr

5. chine.in (Chine Informations)

6. dinosauria.com

 

 

Images

 

1. archéoptéryx (dkfindout.com) 

2. sauropode (sources : petitcarnetpaleo.blogspot.com)

3. théropode (sources : gallimard-jeunesse.fr)

4. archéoptéryx, spécimen dit de Berlin (sources : commons-wikimedia.com)

5. maniraptorien (microraptor) (sources : slideplayer.fr)

6. velociraptor (sources : famouscutouts.com)

7.gros bec de Guyane (sources : lejournal.cnrs.fr)

8. serin d'Europe (sources : jmrabby.oiseaux.net)

9. aigle royal (sources : champagne-ardenne.lpo.fr)

 

 

 

Mots-clés : saurischiens et ornithischiens - archéoptéryx - anchiornis - vélociraptors - exaptation - phylogénétique moléculaire - cladistique

 

 

 

Sujets apparentés sur le blog

 

1. le mythe du chaînon manquant

2. l'empire des dinosaures

3. la disparition des dinosaures

4. les mécanismes de l'Évolution

5. la sélection naturelle

6. retour sur la théorie de l'Évolution

7. la notion d'espèce

 

 

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mise à jour : 11 mars 2024

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Publié le par cepheides
Publié dans : #éthologie, #paléontologie

Voici quelques unes des "brèves" parues il y a quelque temps sur le fil Facebook du blog.

 

 

 

 

IL Y A TELLEMENT D’ESPÈCES EN VOIE DE DISPARITION !

 

 

   On estime à deux millions le nombre d'espèces identifiées de nos jours... et probablement cinquante millions qui restent à découvrir (essentiellement chez les insectes). Malheureusement, en raison du saccage de la Nature mené par l'Homme, la plupart de ces espèces inconnues auront disparu avant même d'être étudiées.


   Dans le passé déjà, nombre d'espèces ont été réduites à néant par l'insouciance (ou l'esprit de lucre) des humains : un exemple caricatural en est le dodo de l'île de la Réunion (et de l'île Maurice) qui, ne sachant pas voler, a été purement et simplement exterminé.


   Sur la photo ci-dessus, on peut voir un loup de Tasmanie, sorte de chien marsupial, dont le dernier représentant a été abattu en 1936 (le gouvernement australien offrait une prime pour chacun de ces "nuisibles" détruits). Une perte absolument inestimable en terme d'évolution...


   Tant d'autres espèces, souvent moins "visibles", ont été rayées de la surface de la Terre sans que quiconque (ou si peu) ne s'en émeuve... et le carnage continue en s'accélérant !

 

   Mais, à propos, comment définir ce qu'est une espèce ? Comment se fait-il que l'on sache instantanément qu'un Yorkshire et un Saint-Bernard sont tous deux des chiens alors que le Yorkshire, par sa taille et sa vivacité, se rapproche plus du chat avec lequel pourtant on ne le confond jamais ? Est-ce culturel ? Scientifique ? Imprimé dans nos gènes ? On en saura un peu plus en lisant le sujet dédié à cette question en cliquant sur le lien suivant ICI

 

 

 

LES CORBEAUX SONT PARMI LES PLUS INTELLIGENTS DES ANIMAUX !

 

 

   On ne prête pas beaucoup d'attention aux corbeaux et autres corvidés (choucas, corneilles, pies, geais, etc) que certains ont même tendance à considérer comme des nuisibles. Et pourtant ! Les éthologues l'ont démontré : ces oiseaux sont parmi les plus intelligents des animaux. Dotés d'une excellente mémoire, ils sont parfois capables d'un esprit de déduction remarquable. Vous en doutez ? Cliquez sur le lien ICI : dans ce court extrait tiré d'une émission d'éthologie d'ARTE, on peut y voir le comportement plus que surprenant d'un corbeau.

 

   D'une manière plus générale, comment quantifier l'intelligence animale ? Que sait-on réellement de l'intelligence des invertébrés ? Comment situer l'intelligence des animaux par rapport à celle des hommes ? Voilà quelques unes des questions abordées dans le blog de Céphéides à la rubrique de l'intelligence animale : ICI

 

 

 

NÉANDERTAL N'ÉTAIT PAS CE QUE L'ON A LONGTEMPS PENSÉ !

 

 

 

   Je relisais récemment "deadly décisions", un roman policier de Kathy Reichs et j'ai remarqué que cet auteur (par ailleurs excellent) présentait quelques lacunes en paléo-ethnologie puisque, au moins à deux reprises, elle écrit : "Néandertal, our ancestor"... Eh bien non, ne lui en déplaise, Néandertal n'a jamais été "notre ancêtre". C'est tellement vrai que durant quelques milliers d'années nous avons même partagé avec lui notre bonne vieille Terre... jusqu'à ce qu'il disparaisse sans que l'on sache trop pourquoi (mais quelque chose me dit que, d'une façon ou d'une autre, nous n'y sommes pas étrangers...).

 

   Néandertal n'est donc pas notre ancêtre, tout au plus un cousin éloigné avec lequel, d'ailleurs, nous avons échangé quelques gènes. Il n'empêche, ce Néandertal était loin d'être l'être fruste et inculte qu'on nous a d'abord présenté. Bien au contraire puisque, outre son cerveau plus gros de 25% en moyenne que le nôtre, il fut indéniablement empreint de spiritualité : il enterrait ses morts (et croyait donc à un au-delà) et s'était certainement organisé une vie sociale que beaucoup de nos représentants d'alors, les homo sapiens de l'époque (autrefois appelés Cro-Magnon), auraient pu lui envier.

 

   Récemment, un élément important est venu conforter cette approche de l'intelligence de Néandertal : des scientifiques français et allemands ont découvert sur deux sites de Dordogne où vivaient des néandertaliens il y a 50 000 ans, des fragments d'outils en os de cervidés ayant servi à façonner des peaux, de même que des lissoirs comparables à ceux des tanneurs actuels. Il s'agirait des plus vieux outils en os trouvés à ce jour en Europe occidentale, bien avant la survenue de Sapiens (l'homme moderne) arrivé en Europe quelques 10 000 ans plus tard. On se demande même si Néandertal n'a pas transmis ces outils à ses nouveaux (et envahissants) cousins ! Comme quoi, il ne faut jamais conclure trop vite : Néandertal aurait sans doute gagné à être connu.

 

   On trouvera sur le blog (lien ci-après) un sujet : "Néandertal et Sapiens, une quête de la spiritualité" qui revient sur cette lointaine cohabitation et qui se risque à quelques hypothèses sur la disparition de cet hominidé si proche et si lointain tout à la fois. Cliquer ICI

 

 

 

UN POISSON VIEUX DE 420 MILLIONS D'ANNÉES

 

 

   Il s'appelle antelognathus primordialis et peuplait nos mers il y a 420 millions d'années à une époque lointaine appelée le silurien (début de l'ère primaire). C'est à peu près à cette époque que sont apparus les requins (si menacés aujourd'hui par les obscurantistes amateurs d'ailerons). Son corps fossilisé parfaitement bien conservé a été découvert en Chine. Et alors ? allez-vous dire. C'est que cette bête remet en question toute la généalogie des êtres vivants !


   En effet, jusqu'à présent, on pensait que les ancêtres des vertébrés étaient les poissons cartilagineux (ancêtres des raies et des requins) mais pas les placodermes aux mâchoires articulées comme notre poisson chinois. Alors faut-il recommencer toute la classification ? Certains scientifiques le pensent !


   En tout cas, une chose est sûre : on voit combien la science n'est jamais figée et qu'elle se remet toujours en question. C'est là son grand mérite !

 

crédit image : taringa.net

 

 

 

UN MERVEILLEUX MONDE DE COULEURS

 

 

 

  

   Il y a peu, au large de l'île Little Cayman, dans les caraïbes, des scientifiques du muséum américain d'histoire naturelle cherchaient à mettre en évidence la biofluorescence des coraux. En effet, ces étranges petites bêtes ont la particularité d'absorber la lumière bleue qui prédomine sous la mer pour la réémettre sous une autre longueur d'onde, en général dans le rouge ou le vert. Les chercheurs installaient donc leur matériel spécial lorsque, tout à fait par hasard, une anguille est passée dans leur champ d'exploration et elle leur est apparue vert fluo ! Très intrigués, les scientifiques se sont demandés si les poissons ne se paraient pas de couleurs étranges, invisibles pour l'œil humain. Pour cela, ils sont allés observer (avec leur caméras spéciales) la faune marine des îles Salomon, des Bahamas et même, pour faire bonne mesure, des aquariums de certains musées océanographiques...

 

   Surprise ! La vie sous-marine s'est alors présentée à eux sous la forme d'une débauche de couleurs chatoyantes, toutes plus extraordinaires les unes que les autres. Près de 200 espèces de poissons possèdent ces couleurs fluorescentes : des roussettes, des raies, des rascasses, etc.

 

   Pourquoi ? Probablement pour communiquer, notamment lors des pariades, c'est à dire lors des amours, afin de choisir le partenaire le mieux adapté. A moins (mais les deux options ne sont pas incompatibles) que ce soit pour mieux se cacher des prédateurs au sein des massifs coralliens...

 

   On savait que les abeilles voient la vie en ultra-violet et voilà que, à leur tour, les poissons nous apprennent que leur monde est composé de merveilleuses couleurs que nous ne pouvons malheureusement pas voir avec nos yeux au spectre limité...

 

L'image représente la faune sous-marine que l'on peut rencontrer au large des îles Coco, au Costa-Rica (crédit-photo : easyvoyage.com)

 

 

 

 

LES CROCODILES NE SONT PAS SI BÊTES...

 

 

   Il y a quelques mois, j'évoquais l'intelligence des corbeaux et autres corvidés, capables d'ouvrir une cage avec un bout de bois mais les crocodiles et les alligators ne sont pas en reste !

 

   Des chercheurs américains de l'Université du Tennessee ont pour la première fois mis en évidence l'utilisation d'outils chez les reptiles. Ils ont en effet observé des crocodiles, à demi-immergés dans des marais d'Amérique du nord et présentant sur leur longs museaux des brindilles et autres bouts de bois. Il s'agit là d'un piège subtil destiné à tromper les oiseaux en train de bâtir leurs nids : en effet, lorsque ceux-ci se présentent pour s'emparer des matériaux de construction qu'ils recherchent, l'alligator n'a qu'à ouvrir la gueule pour attraper le volatile trop audacieux !

 

   Plus encore, les chercheurs ont pu constater que, en dehors de la période de reproduction des oiseaux, les alligators n'utilisent jamais ce subterfuge puisque leurs repas potentiels ne construisent alors pas de nids. Malin, n'est-ce pas ?

 

Photo : un crocodile (ici, crocodylus palustris) attendant sa pitance (source : pourlascience.fr)

 

 

 

L'ANIMAL LE PLUS ÂGÉ JAMAIS DÉCOUVERT

 

 

   Connaissez-vous la praire d'Islande (artica islandica) ? C'est pourtant à cette espèce qu'appartient l'animal le plus vieux jamais découvert par l'Homme. En 2006 fut en effet remontée une praire d'Islande qui paraissait très âgée. Comme toujours en pareil cas, les scientifiques s'acharnèrent à compter le nombre de stries sur sa coquille (une strie représente un an) et arrivèrent à la conclusion que l'animal avait environ 400 ans ! Mais comme il était difficile de compter les premières stries quelque peu effacées, on a, dans un deuxième temps, eu recours à la datation par le carbone 14 (université de Bangor, pays de Galles). Résultat : l'animal était vieux en réalité de 507 ans !

 

   Il fut baptisé Ming car c'était la dynastie chinoise qui régnait à l'époque de sa naissance... en 1499. Du coup, cet extraordinaire coquillage avait été contemporain des découvertes de Magellan, de la bataille de Marignan, de la Révolution française et des attentats du World Trade Center. Bien plus vieux que les plus vieux animaux connus comme la tortue géante des Seychelles (150 ans) ou la baleine boréale (130 ans).

 

   Une question se pose : combien de temps aurait encore vécu cet animal s'il n'avait pas été remonté en 2006 ?

 

Image : valve gauche du coquillage Ming âgé de 507 ans (source : Wikipédia France)

 

 

 

 

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mise à jour : 21 mars 2023

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Publié le par cepheides
Publié dans : #paléontologie

 

évolution homo sapiens
il n'y a pas de chaînon manquant...

 

 

 

 

     Depuis la parution du livre de Darwin qui, en 1859, bouleversa totalement notre compréhension de l’évolution du monde du vivant, les divers opposants à cette nouvelle approche avancent un argument qu’ils considèrent comme implacable : s’il existe réellement une évolution des espèces au fil des âges, disent-ils, comment se fait-il que l’on ne trouve pas plus de fossiles intermédiaires ? Par exemple, si l’on admet que l’Homme est un primate, comment se fait-il que l’on ne puisse jamais mettre en évidence « l’ancêtre de transition », celui que l’usage appela rapidement « le chaînon manquant » ? Nous allons essayer de répondre à ces questions en expliquant notamment que c’est parce que ce maillon manquant n’a jamais existé et qu’il n’est que le fruit d’une mauvaise compréhension des lois de l’Évolution. Bien entendu, le raisonnement que nous allons suivre pour l’Homme s’applique à l’ensemble des espèces.

 

 

La grande chaîne du vivant et les préjugés religieux

 

     Au printemps 2014, dans le microcosme scientifique, on reparla soudain d’un « chaînon manquant ». Il s’agissait cette fois d’expliquer la découverte d’un micro-organisme baptisé

source hydrothermale

lokiarchaeota décelé près d’une source hydrothermale située entre le Groenland et la Norvège et qui possédait des caractéristiques à la fois avec les bactéries et avec l’espèce humaine : il n’en fallait pas plus pour que certains s’exclament que l’on venait de découvrir un des « chaînons manquants » de la longue lignée ayant conduit des premières entités vivantes à l’Homme  ! Après étude, il fut conclu qu’il n’en était rien : lokiarchaeota est un microbe certes très intéressant mais moderne et descendant probablement d’un ancêtre très lointain appartenant à un groupe dont faisait également partie les ancêtres éloignés des mammifères d’aujourd’hui. Comment se fait-il que, des années après la parution du livre princeps de Darwin, on en soit encore à chercher des ancêtres communs qui viendraient peupler des évolutions linéaires du vivant, comme si cette évolution n’était qu’un long cheminement vers le but ultime de la Nature, l’Homme, être suprême ?

 

     Cette idée de « développement linéaire » qui encombre encore les consciences est en réalité, fondée sur la notion de « la grande chaîne du vivant » qui est une invention de la théologie médiévale, basée sur des concepts développés par Platon, Aristote et bien

évolution homo sapiens vues erronées
l'Homme -évidemment - est tout en haut de l'échelle !

d’autres philosophes de l’Antiquité. Dans cette théorie, on imagine un processus continu de la vie qui se complexifie progressivement, de façon hiérarchique, selon un schéma pensé et voulu par Dieu. Les liens qui unissent les différents objets de la chaîne ne peuvent être rompus ou modifiés, de même que la place des différents éléments qui la composent (à moins, dans certains cas très précis, d’avoir recours à l’alchimie). Bien entendu, au sommet de cette hiérarchie (juste en dessous de Dieu et des anges) se tient l’Homme qui est appelé à régner sur un univers uniquement peuplé d’animaux qui lui sont forcément inférieurs puisque lui-même n’est pas un animal mais une « créature supérieure de Dieu ». Il est curieux de constater que cette théorie qui ne repose évidemment sur aucune base scientifique existe toujours dans le subconscient de bien des chercheurs (en biologie de l’Évolution, on continue à parler « d’échelon supérieur » ou de « formes inférieures », là où, dans ce dernier cas, il vaudrait mieux parler de formes archaïques ou primitives).

 

     Il est vrai que « l’ego de l’Homme » a, depuis quelques siècles, subi un certain nombre de désillusions : après que Copernic eut expliqué au monde que c’était la Terre qui tournait autour du Soleil et non l’inverse (ce que l’on croyait depuis des siècles), on en arriva ensuite à affirmer que notre étoile n’est qu’un astre banal, situé en périphérie d’une galaxie ordinaire (de 150 milliards d’étoiles) comme il en existe, à perte de vue, des milliards d’autres. Et voilà que, pour couronner le tout, Charles Darwin explique que toutes les observations du vivant concourent à faire de l’Homme un animal comme les autres : pis encore, il est biologiquement parlant un primate, c’est-à-dire un « singe dit supérieur »…

 

     Après avoir provoqué la grosse colère de toute une foule de créationnistes, l’idée au départ scandaleuse que « l’homme descend du singe » finit par être reconnue par le monde scientifique. Plus encore, on arriva à admettre que l’Homme était lui-même un singe, de la série des grands primates  ! Toutefois, les préjugés ont la vie dure puisque si l’on admettait cette idée, on concluait immédiatement que c’était l’aboutissement d’une évolution directe comme en témoigne le succès d’un dessin fameux où l’on peut voir des animaux se redresser

fausse évolution vers homosapiens
image fausse, archifausse !

progressivement pour arriver à l’Homme et à sa marche droite en station debout (illustration ci-contre) : de nombreux esprits - parfois assez éclairés - continuent à croire que les choses se sont passées ainsi, ce qui est une ineptie. Cette « filiation » n’existe en fait que dans l’esprit d’individus mal informés…

 

 

L’erreur fatale : l’Homme moderne « descend directement » du singe 

 

     S’il y a une lignée « directe », il faut donc en découvrir les différents protagonistes successifs. On n’explique pas autrement le succès d’une des plus importantes mystifications scientifiques de l’époque moderne, celle de "l’homme de Piltdown". Nous sommes alors au tout début du siècle dernier et les scientifiques pensent tous au « chaînon manquant » qui relierait homo erectus à homo sapiens (Neandertal est vécu comme si « affreux » qu’il ne peut être considéré comme un ancêtre de l’Homme  !). Voilà qu’en Angleterre, à Piltdown, dans le Sussex, un paléontologue amateur met au jour un crâne possédant des caractéristiques humaines associé à une mâchoire manifestement d’apparence simiesque : le monde entier se réjouit puisqu’on vient de trouver le fameux

machination de Piltdown
crâne de Piltdown : 50 ans avant de découvrir la supercherie

maillon intermédiaire, l’ancêtre direct de Sapiens. Il faudra attendre 1959, soit 47 ans plus tard, pour que la supercherie soit reconnue : le crâne est bien celui d’un homme… mais ayant vécu au Moyen-âge et la mâchoire est celle d’un vrai singe  ! (voir le sujet dédié : la machination de Piltdown). Suite à l’étude (postérieure) des australopithèques, on sait à présent que cette supercherie aurait pu être bien plus crédible s'il avait été associé un crâne de singe à une mâchoire d’homme…

 

     Comment un tel mensonge a-t-il pu subsister si longtemps dans la communauté scientifique ? Eh bien précisément parce qu’on voulait absolument trouver ce chaînon manquant, survivance inconsciente dans l’esprit de tous de la fameuse « chaîne du vivant » évoquée plus haut. Dans un sujet précédent, j’avais expliqué que lorsque, comme les créationnistes du « dessein intelligent », on cherche à démontrer une conclusion dont on a au préalable décidé les termes (ce que l’on nomme « raisonnement finaliste »), on sort du domaine scientifique pour entrer de plain-pied dans la fiction (voir le sujet : science et créationnisme). Avec la machination de Piltdown, nous sommes en plein dedans…

 

     Mais alors quelle est la « filiation d’homo sapiens » la plus vraisemblable ?

 

 

L’évolution vers l’homme moderne

 

     Il faut définitivement oublier les « arbres » généalogiques classiques, où l’on voit, parti d’un tronc commun robuste, les espèces vivantes évoluer sous forme de branches, puis de branches plus petites, de rameaux enfin, comme s’il n’y avait chaque fois qu’un seul chemin à suivre pour expliquer les formes vivantes actuelles. Comme le faisait remarquer le paléontologue Stephen J. Gould, « il n’y a pas, il n’y a jamais eu d’arbre unique mais des buissons foisonnants ».

 

     Reprenons la généalogie de l’Homme. Il n’y a pas un ancêtre commun qui serait en quelque sorte un homo sapiens archaïque, ancien, et dont on risquerait de découvrir un jour le fossile permettant d’affirmer qu’il est le chaînon qui manquait. Au contraire, il est certain que de nombreux caractères évolutifs appartenant à l’homme moderne ont été pris à des formes variées d’hominidés ayant vécu conjointement dans la savane africaine durant des millions d’années. Il est donc probable qu’il nous sera toujours impossible de trouver l’espèce d’hominidé qui avait en commun avec nous telle ou telle caractéristique et nous l’a transmise.

 

     Avant, il a certainement existé un ancêtre commun avec les grands singes à une époque que les scientifiques situent il y a environ de 5 à 8 millions d’années. Par la suite, donc, de nombreuses espèces d’hominidés ont coexisté et certaines se sont révélées être des impasses comme, par exemple, paranthropus, dont on pense qu’il s’est éteint sans descendance il

anc^tres homo sapiens
de nombreux hominidés ont cohabité

y a 1 million d’années. Ailleurs, différentes lignées ont vécu parallèlement, échangeant certains caractères et l’une d’entre elle, celle de Sapiens, s’est individualisée avec le succès que l’on connaît. Cette « réussite » doit tout au hasard et l’on sait que, à certains moments, notre espèce fut proche de l’extinction totale. S’il n’en fut rien, cela est dû à ce que Gould appelle la contingence, c’est-à-dire essentiellement la conjonction d’un hasard total associé au déterminisme des événements accidentels ayant conduit à l’état actuel. Le hasard aurait basculé dans une direction légèrement différente et le monde d’aujourd’hui pourrait n’être peuplé que de chimpanzés.

 

« Il y a cinq millions d’années, une simple femelle de grand singe non humain a été la mère commune d’une descendance ayant conduit aux trois espèces encore vivantes de nos jours : les hommes, les chimpanzés et les bonobos. Les enfants de cette mère originelle se sont unis avec d’autres grands singes de leur propre espèce qui ont eu des enfants qui ont eu des enfants et ainsi de suite durant plusieurs centaines de milliers de générations... À aucun moment de cette évolution, les enfants ne sont apparus ou se sont comportés différemment de leurs parents. Pourtant, au départ, il y avait de grands singes non humains et, à la fin de la lignée, des hommes. Les hommes ne sont apparus à aucun moment particulier au cours du temps. Ce sont plutôt les organismes non humains qui ont progressivement évolué par de légères modifications partiellement humaines jusqu’à lentement aboutir à l’espèce que nous appelons Homo sapiens. »

 

Lee M Silver (Challenging Nature, 2006, Harper Collins, New York, USA)

 

 

    Il y a 65 millions d’années, un astéroïde totalement imprévisible a heurté la Terre si fort que la conséquence en a été la disparition de toutes les espèces dominantes de l’époque, une domination qui durait depuis des centaines de millions d’années. Cet événement imprévu permit la prépondérance ultérieure des mammifères dont, notamment, les grands primates. Hasard.

 

     Bien plus tard, dans la savane africaine d’il y a quelques millions d’années, une succession d’événements accidentels permit l’apparition de l’Homme moderne. Hasard encore une fois. On peut toutefois se poser la question de savoir si ce hasard-là aura été une chance pour la planète et ses autres occupants.

 

 

 

 

 

Sources :

 

* https://fr.wikipedia.org/

* https://www.hominides.com/

* https://theconversation.com/

* https://www.evolution-outreach.com/

 

 

Images

 

1. le chaînon manquant (sources : histoire-fr.com)

2. source hydrothermale Loki Castle (sources : phenomena.nationalgeographic.com/)

3. le grand arbre de la Vie par Ernst Hackel 1873 (sources : fr.wikipedia.org)

4. la (fausse) filiation de l'Homme (sources : hominides.com)

5. crâne de l'homme de Piltdown (sources : linternaute.com)

6. de nombreux hominidés ont longtemps cohabité (sources : Elisabeth Daynès, photo Philippe Plailly/Eurelios in hominides.com) 

(pour lire les légendes des illustrations, passer le curseur de la souris dessus)

 

 

Mots-clés : lokiarchaeota - homme de Piltdown - australopithèques - dessein intelligent - Stephen J. Gould

 

 

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1. la notion d'espèce

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Mise à jour : 19 mars 2023

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Publié dans : #paléontologie
DE L'ÉVOLUTION : la  Terre boule de neige

 

 

 

   Lorsqu’on pense aux débuts de notre planète, on imagine facilement une sorte de boule de feu où s’entrechoquent volcans éruptifs et mers de lave en fusion, le tout constellé de continuelles chutes de météorites venant rajouter de la confusion et des flammes. Ensuite, des millions d’années s’étant écoulés, on pense à un radoucissement progressif : la Terre se refroidit lentement pour aboutir à un climat à peu près tempéré qui permettra l’apparition de la Vie. Tout au plus, avance-t-on que, de temps à autre, se sont certainement produites des « oscillations » climatiques ayant conduit ici à une glaciation, là à un réchauffement des températures avec, chaque fois, la nécessaire adaptation du vivant.

 

   Il est rare toutefois que l’on imagine un autre processus extrême, aussi violent que la fournaise des débuts mais en sens inverse, c’est-à-dire aboutissant à une planète entièrement recouverte d’une épaisse couche de plusieurs km de glace et où la Vie telle qu’on la connait n’a aucune chance de se développer. Pourtant, cette époque glaciaire absolue a bel et bien existé, il y a longtemps, certes, et c’est cette période que l’on a appelé « Terre, boule de neige » (et que l’on aurait d’ailleurs plutôt dû appeler « Terre, boule de glace »), une période qui faillit faire de notre planète un désert.

 

 

 

Une hypothèse plutôt récente

   Douglas Mawson (1882-1958) était un Australien qui s’était spécialisé dans

tectonique des plaques - dérive des continents
Alfred Wegener (1880-1930)

l’exploration de l’Antarctique mais c’est dans le sud de son pays qu’il isola et identifia des étendues de sédiments glaciaires ce qui naturellement lui fit penser que, dans le passé, la Terre avait pu être recouverte d’une couche de glace généralisée. En réalité, la théorie de la tectonique des plaques (ou dérive des continents) n’avait pas encore été énoncée par Wegener et c’était pourtant là une explication bien plus simple : il n’en reste pas moins que ce fut la première fois qu’on envisagea une glaciation uniforme de notre planète…

 

   C’est bien plus tard, en 1964, qu’on reparla de cette approche de la Terre glacée lorsque le britannique W. B. Harland fit paraître un article dans lequel il expliquait avoir identifié au Groenland des moraines glaciaires (tillites) constituées alors que ce continent se trouvait à une latitude tropicale… Comment expliquer cette impossibilité apparente ?

 

   Le soviétique Mikhaïl Boudyko, à peu près au même moment, présenta une théorie de glaciation totale de la Terre en expliquant que, une fois une certaine latitude atteinte par les glaces, il s’ensuit un point de non-retour car l’effet réfléchissant de la neige et de la glace (l’albédo) entraîne un cercle vicieux, le refroidissement produisant toujours plus de froid. C’est même la raison pour laquelle Budiko abandonna sa théorie en concluant à peu près de cette façon : « Puisqu’il n’y a aucun moyen de sortir de cette glaciation générale et que nous sommes ici aujourd’hui pour en parler, c’est qu’elle n’a pas eu lieu  ! ».

 

  En 1992, l’américain Joseph Kirschvink, professeur de géobiologie en Californie

Joseph Kirschvinck

(au CIT) prononça pour la première fois l’expression « Terre boule de neige » en avançant non seulement qu’un état glaciaire général est possible mais qu’il peut être secondairement aboli par la présence de gaz à effet de serre, par exemple d’origine volcanique. C’était la solution qui manquait à Boudyko.

 

   Quelques années plus tard, la théorie de la Terre boule de neige prit encore de l’ampleur par la publication de l’américain Paul Hoffman qui expliquait que des sédiments découverts par son équipe en Namibie ne pouvait s’expliquer aisément que par la théorie de Kirschvink  !

 

   Les scientifiques, toutefois, ne partagent pas tous cet avis et il en reste un certain nombre qui s’interrogent sur la réalité du phénomène…

 

 

 

Un peu de chronologie

 

  Résumons tout d’abord succinctement ces différentes glaciations pour mieux situer celle qui nous intéresse. Dans l’histoire de la Terre, il y a eu, selon les données actuelles, cinq grandes phases de glaciations :

 

1. la glaciation huronienne (vers -2,3 milliards d’années)

 

2. la glaciation néoprotérozoïque : celle qui nous intéresse car responsable de la Terre boule de neige (entre -1 milliard et -542 millions d’années) et ayant évolué en au moins trois temps successifs,

 

3. la glaciation de la fin de l’ordovicien (-444 millions d’années)

 

4. la glaciation du dévonien, à la fin de l’ère primaire (-360 millions d’années ) et

 

5. la glaciation cénozoïque dans laquelle nous sommes encore (bien que dans une période interglaciaire) et qui dure depuis une quinzaine de millions d’années .

 

   Revenons à la glaciation néoprotérozoïque qui nous intéresse aujourd’hui. Elle évolua en trois phases et l’une d’entre elles, la glaciation dite marinoenne, a été plus particulièrement étudiée car c’est très vraisemblablement à cette époque qu’eut lieu le phénomène de planète boule de neige. Selon Paul Hoffman déjà cité, cette phase glaciaire intense voire exceptionnelle explique la diversification des espèces qui a suivi (et que nous avons déjà évoquée dans d’autres sujets)…

 

 

 

La glaciation marinoenne

 

   Ayant duré de -650 à -635 millions d’années, cette glaciation doit son nom au fait que les preuves de sa réalité ont été primitivement trouvées dans la région de Marino qui est une ville de la banlieue sud d’Adélaïde, en Australie. Elle fut terrible au point que, de l’espace, la Terre devait apparaître comme totalement blanche. Seules quelques rares et modestes étendues d’eau devaient être libres à l’équateur où les températures devaient être voisines de celles de l’antarctique actuel. De plus, la vapeur d’eau atmosphérique se congelant, la couverture nuageuse devait être très faible avec des nuits particulièrement froides et des déperditions de chaleur maximales. Inutile de préciser que, à de telles températures et avec une telle surface glacée, la production biologique était voisine de zéro.

 

terre boule de glace
le Rodinia lors de la glaciation marinoenne

 

   La cause en est la tectonique des plaques et la fragmentation du supercontinent  de cette époque lointaine, le Rodinia. Il devait y avoir certainement des blocs en

position polaire (sans cela, une glaciation ne peut se produire) mais il fallut aussi, et cela peut sembler paradoxal, qu’il y ait eu d’autres continents en position équatoriale pour que s’amorce l’effet boule de neige : en effet, ce sont les océans tropicaux qui réfléchissent le mieux la lumière du soleil (et diminuent de fait la température ambiante) tandis que les terres en regard sont beaucoup plus arrosées d’où une érosion accrue des rivières et, fait important, une mise en surface des silicates qui, en se combinant avec le CO², amènent à terme à sa diminution or c’est un gaz à effet de serre majeur.

 

   On comprend évidemment que de tels phénomènes se déroulent sur d’immenses

Terre boule de glace
l'albedo d'autant plus réfléchissant qu'il y a de la neige

durées de temps, les changements étant totalement imperceptibles à l’œil d’un éventuel observateur. Quoi qu’il en soit, on peut imaginer une progression des glaces depuis les pôles vers l’équateur. Or, comme l’avait parfaitement supposé le soviétique Budiko, il existe un point de non-retour, à savoir le franchissement du 35ème parallèle : au-delà l’albédo (l’effet réfléchissant de la lumière solaire) est si intense que le froid, en quelque sorte, s’auto-entretient et que la glace finit par couvrir l’intégralité du globe. À cette époque, notre planète était devenue une immense patinoire et cette glace toujours plus épaisse était un obstacle majeur au développement de la Vie. Toutes proportions gardées, la Terre devait ressembler à Ganymède, le satellite de Jupiter, qui, fort de sa masse de deux fois celle de la Lune, abrite un immense océan d’eau glacé sous une épaisse couche de glace : la Terre, heureusement, est quant à elle bien plus près du Soleil ce qui sous-entend que si un réchauffement survient, il peut être durable.

 

   A-t-on des preuves que cette situation cataclysmique a eu lieu ?  Eh bien oui : c’est la mise en évidence de « carbonates de recouvrement » qui permit à Hoffman

Terre boule de glace
des glaciers à l'équateur

d’asseoir son hypothèse. De quoi s’agit-il ? Les dépôts glaciaires découverts (notamment en Namibie) possèdent une signature magnétique prouvant que leur origine est plus proche de l’équateur que des pôles ; toutefois, ils sont ici « recouverts » par des carbonates qui sont des sédiments marins. Voilà donc des glaciers qui se sont formés au niveau de la mer mais comment peuvent-ils bien s’être créés et recouverts de carbonates près de l’équateur ? Une seule explication possible : à cette époque l’équateur était couvert de glace…

 

   Comment peut-on sortir de cette situation si celle-ci s’auto-entretient ? Pour combattre ce froid intense, il est nécessaire que l’albédo diminue avec la fonte des glaces et seul un effet de serre peut expliquer un tel phénomène. Oui, mais provoqué par quoi ? On se rappelle que ce sont les océans qui normalement stockent le CO² mais, dans le cas qui nous occupe, cela est impossible puisqu’il n’existe que de la glace. De ce fait, le CO² émis par les éruptions volcaniques va pouvoir s’accumuler dans l’atmosphère où va se créer peu à peu un effet de serre. Au fil de plusieurs millions d’années - et de la plus ou moins grande activité volcanique - le processus de refroidissement va s’inverser et la Terre progressivement sortir de sa gangue gelée.

 

 

 

Quelle signification pour la Vie ?

 

   Et la Vie dans tout ça, comment a-t-elle pu se maintenir ? Car,

algues bleues

bien que l’époque soit très lointaine, la Vie existait déjà, et depuis longtemps. Il ne s’agissait toutefois que d’une vie très rudimentaire, essentiellement des micro-organismes telles les cyanobactéries (algues bleu-vert) capables de photosynthèse et donc de production d’oxygène. Bien sûr, la Vie restait possible pour les organismes anaérobies demandant peu d’oxygène et en l’absence de

fumeurs noirs, si loin de la surface...

toute photosynthèse : on pense aux cheminées hydrothermales (ou fumeurs noirs) au fond des océans. Toutefois, il restait certainement aussi quelques rares régions océaniques libres de glace où de petites colonies d’organismes photosynthétiques ont pu fabriquer des traces d’oxygène assimilables par quelques colonies d’organismes aérobies. Ailleurs pouvaient exister des points chauds (comme en Islande actuelle) ou des poches d’eau liquide sous les calottes glaciaires comme le lac Vostok en Antarctique.

 

   Une chose est certaine : durant cette période de froid, la Vie ne semble pas avoir connu de changements majeurs. C’est seulement ensuite, lorsque le phénomène aura disparu, que se produira une incroyable diversification de la Vie conduisant à la flore d’Édiacara et à celle du Cambrien (voir le sujet : l’explosion cambrienne).

 

 

 

Les glaciations et la Vie

 

schiste de Burgess
faune d'Édiacara

 

   Comme on vient de le faire remarquer, la fin d’une glaciation correspond souvent à l’apparition de nouvelles formes de vie, comme si la disparition progressive des glaces ouvrait un certain nombre de niches écologiques qu’il conviendrait de coloniser. Ainsi, à la fin de la glaciation marinoenne et la probable Terre boule de neige, on voit apparaître les éponges. Un peu plus tard (une façon de parler car on évoque un intervalle de 60 millions d’années), vers -575 millions d’années survient une autre poussée glaciaire moins intense dite de Gaskiers qui voit peu après l’extraordinaire foisonnement de vie de la flore d’Édiacara déjà évoquée.

 

   Faut-il y voir une relation de cause à effet ? Eh bien, non pour certains scientifiques qui estiment qu’il ne s’agit là que de coïncidences temporelles. D’autres pensent que les glaciations notamment la néoprotérozoïque par son épisode marinoéen, la dernière à avoir pu provoquer une Terre boule de neige, a peut-être permis une progression de la Vie. On peut, en effet, penser que lors de sa disparition les océans sont remontés, multipliant la surface des plateaux continentaux et, au fil des millions d’années, l’augmentation du taux d’oxygène si important pour l’apparition de la diversité.

 

   En somme, après avoir été l’obstacle principal au développement de la Vie (au point de l’avoir empêchée durant des millions d’années jusqu’à la faire presque succomber), la Terre boule de neige aura peut-être été, par sa disparition, un des meilleurs éléments de la dissémination du vivant, de sa radiation à travers le globe.

 

 

 

 

Sources

 

1. fr.wikipedia.org

2. www.astronoo.com/fr/articles/vie-sous-la-glace.html

3. Encyclopaedia Universalis

4. les dossiers de la Recherche, n°39, mai 2010

5. http://www.futura-sciences.com

 

 

Images

 

1. la Terre boule de neige (sources : www.quizz.biz)

2. Alfred Wegener (sources : fr.wikipedia.org/)

3. Joseph Kirschvinck (sources : web.gps.caltech.edu/)

4. le continent Rodinia qui prévalait à l'époque néoprotérozoïque, notamment marinoenne (sources : burkemuseum.org)

5. l'albédo (sources : oceanbites.org)

6. glaciers (sources : electrictreehouse.com)

7. algues bleues (sources : lemonde.fr)

8. fumeurs noirs (sources : www.vetofish.com/)

9. faune d'Édiacara (sources : astrobio.net)

(pour lire les légendes des illustrations, passer le curseur de la souris dessus)

 

 

Mots-clés : glaciation - W. B. Harland (en anglais) - Mikhaïl Boudyko - albedo - tectonique des plaques - gaz à effet de serre - cyanobactéries - photosynthèse - faune d'Ediacara - explosion cambrienne

(les mots en gris renvoient à des sites d'information complémentaires)

 

 

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1. les extinctions de masse

2. la dérive des continents ou tectonique des plaques

3. spéciations et évolution des espèces

4. la grande extinction du Permien

5. l'explosion cambrienne

 

 

 

 

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mise à jour : 16 mars 2023

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Publié le par cepheides
Publié dans : #paléontologie

 

 

 

     Au cours des temps géologiques, il y eut pour la Vie sur Terre cinq grandes extinctions de masse, la plus importante d'entre elle s'étant produite il y a environ 250 millions d'années (MA), à une époque appelée par les scientifiques le Permien, époque qui marqua la fin du paléozoïque (c'est à dire l'ère primaire dans l'ancienne terminologie). Précédée par le Carbonifère et suivie du Trias, le Permien - qui doit son nom à la ville de Perm, en Russie , où fut découvert ce type de gisement fossilifère - s'étend sur un peu moins de cinquante millions d'années. Pour tous les paléontologues, cette période est particulièrement célèbre parce qu'elle s'acheva par la disparition de 95% des espèces vivantes marines et de trois-quarts des espèces terrestres.  Cette extinction massive est la troisième recensée par les scientifiques depuis l'apparition de la Vie (la première eut lieu à l'Ordovicien il y a 440 MA et la deuxième au Dévonien il y a 360 MA) mais elle fut la plus terrible. Pourquoi un tel phénomène si brutal ? Les extinctions postérieures suivirent-elles le même modèle apocalyptique et, si oui, peut-on y distinguer là une sorte de rythmicité ? Voilà quelques unes des questions que je me propose d'aborder dans ce sujet.

 

 

 

 

la vie au permien

 

 

     A cette époque lointaine, il n'existe qu'un seul supercontinent, la Pangée, dont la plus grande partie est située dans l'hémisphère sud et qui contient (presque) toutes les terres. Le continent unique renferme de nombreuses mers intérieures (mais avec des niveaux moyens assez bas) : d'une façon générale, le climat y est plutôt aride avec des températures plus élevées qu'au Carbonifère qui précédait et une quasi-disparition des glaces. Plus humide sur les bords de l'océan Panthalassa qui entoure les terres, le climat est plus sec dans le centre de la Pangée avec des températures pouvant passer de 0° la nuit à 40° le jour, un peu comme dans le désert du Sahara d'aujourd'hui. La pluviométrie générale y est plutôt faible et le climat relativement homogène ce qui devait permettre les migrations des animaux tout au long du supercontinent sauf dans la dernière partie du Permien (Permien supérieur) où le climat semi-désertique était devenu trop dominant dans le centre des terres.

 

     La vie dans la Pangée comprend, pour les plantes, des gymnospermes (dont les éléments reproducteurs sont protégés par des capsules), des fougères et on voit apparaître vers la fin de cette époque les premiers arbres, essentiellement des conifères.

 

     Mi-reptiles, mi-mammifères, dès le début du Permien, les thérapsidés (anciennement appelés reptiles mammaliens) furent les premiers animaux à adopter un mode de vie exclusivement terrestre : une de leurs branches, celle des cynodontes (dontun dimetrodon (famille des pelycosaures) certains représentants portaient déjà des poils), donnera à l'époque suivante (au Trias) les précurseurs des mammifères (placentaires et marsupiaux). C'est probablement à cette époque, vers la fin du Permien, qu'apparurent les premiers éléments de thermorégulation comme en atteste la présence chez certaines espèces (pelycosaures) de "voiles" essentiellement dorsaux permettant d'évacuer la chaleur du jour mais également de capter celle du Soleil pour l'activité matinale. À cette époque, également, on constate l'apparition des premières bipédies. Les amphibiens, les arthropodes (araignées, scorpions, insectes) et les ancêtres des grands reptiles du secondaire constituent l'essentiel du reste des espèces animales terrestres.

 

     La vie marine est également bien représentée avec, pour les mollusques, essentiellement des céphalopodes (comme les nautiles) et de nombreux foraminifères (protozoaires unicellulaires).

nautile

On trouve également des arthropodes comme les crustacés (mais les derniers trilobites ont déjà commencé à disparaître), des brachiopodes (animaux filtreurs, coquillages bivalves ressemblant à des palourdes, lys de mer, oursins, etc.) et des coraux dits "rugueux" (très différents des coraux actuels). Pour les poissons, ce sont ceux dits "cartilagineux" (comme les raies ou les requins) qui dominent les mers jusqu'à la fin du Permien tandis que les poissons osseux sont encore minoritaires.

 

     L'équilibre entre les différentes espèces animales et végétales qui durait tant bien que mal depuis plusieurs dizaines de millions d'années va soudain être détruit aux environs de - 252 MA par ce qui restera dans l'histoire de notre planète comme la pire catastrophe pour la Vie sur Terre.

 

 

 

 

les causes du désastre

 

  

     Comme souvent, il n'existe pas une cause unique pour expliquer l'extinction massive mais la juxtaposition, voire l'intrication de plusieurs d'entre elles.

 

     Le Permien, on l'a déjà évoqué, est la réalisation d'un événement unique : la réunion de toutes les terres émergées du globe en un seul supercontinent, la Pangée. Cette juxtaposition de terres auparavant indépendantes a eu pour conséquence principale de faire considérablement diminuer les plateaux continentaux et, d'une manière générale, de fortement réduire la longueur des côtes qui, on le sait, sont un habitat particulièrement recherché par la Vie. Par ailleurs, cette diminution entraîna, à surface égale, la baisse concomitante des terres soumises à un climat océanique alors que, au contraire, les zones continentales se firent plus vastes avec leur climat semi-aride moins favorable.

 

     Vers -265 MA (soit 15 MA avant l'extinction), une fois le supercontinent réalisé, la tectonique des plaques diminua considérablement ce qui eut pour conséquence l'affaissement de la dorsale océanique et donc une diminution des hauts-fonds des plateaux continentaux entraînant évidemment celle de la surface habitable : pour les espèces vivantes, la compétition devint de plus en plus âpre.

 

     Durant les quelques millions d'années qui précédèrent la fin du Permien supérieur (vers ‑257/‑252 MA), se mit en place une élévation générale des températures. En effet, grâce à des études portant sur des milliers de fossiles d'animaux, les scientifiques sont arrivés à la conclusion que la température moyenne des terres équatoriales avoisinait les 50° (voire 60°) tandis que celle des masses océanes équatoriales atteignait, elles, souvent les 40° : on comprend dès lors la difficulté pour les animaux de survivre dans un environnement aussi hostile. Quelles furent les causes d'une telle élévation des températures ? Très certainement, la conjonction d'un volcanisme intense aboutissant à un effet de serre entretenu, comme on le verra, par d'autres mécanismes. C'est en effet, dans les dernières centaines de milliers d'années du Permien supérieur que survint un phénomène éruptif capital appelé  les trapps de Sibérie.

 

     En suédois, le mot "trapps" signifie marches et c'est bien de cela dont il s'agit lorsqu'on regarde certaines photos de cet épisode volcanique majeur, peut-être le plus violent survenu sur

trapps de Sibérie

Terre au cours des 500 derniers millions d'années : environ trois millions de km3 de lave vont se répandre durant des milliers d'années sur la Sibérie. La lave produite par le phénomène correspondait à la hauteur du Mont Blanc sur une surface supérieure à deux fois celle de la France sur une durée d'environ 600 000 ans, peut-être plus : on imagine les conséquences sur le climat terrestre ! À titre de comparaison, rappelons le phénomène dit "de Laki", survenu en Islande entre juin 1783 et février 1784 : seulement 12 km3 de lave mais le rejet dans l'atmosphère de millions de tonnes de dioxyde de soude et de dioxyde de carbone qui décimèrent cultures et troupeaux dans toute l'Europe, provoquant un nombre de décès humains singulièrement élevé ; certains historiens prétendent même que ce fut un des éléments déclencheurs de la révolution française ! Alors 600 000 ans d'éruption volcanique... Outre les laves elles-mêmes, il y a leur action sur les sols qui, dans le cas des trapps, provoqua la libération d'une énorme quantité de gaz toxiques et donc l'accélération de l'effet de serre.

 

     Toutefois, selon les spécialistes, si les trapps de Sibérie furent les probables responsables de l'extinction, le phénomène ne porta que le coup de grâce à une faune et une flore déjà stressés auparavant. Dans la genèse de la catastrophe, on peut ainsi incriminer :

 

* la désoxygénation des eaux : dans les 20 millions d'années précédents, le niveau des mers avaient baissé de plus de 200 m, réduisant - on l'a déjà dit - les zones de vie en pente douce que sont les plateaux continentaux ; de plus, ces mers étaient

des océans peu propices à la vie

particulièrement anoxiques, c'est à dire manquant d'oxygène à tous les niveaux (et pas seulement en profondeur comme aujourd'hui) : la conséquence en a été le développement d'une importante flore anaérobie produisant de l'hydrogène sulfuré dont l'action principale a été, non seulement de détruire la faune aérobie, mais surtout d'entraîner par diffusion en surface pluies acides et destruction de la couche d'ozone protectrice naturelle. En somme, un stress considérable pour des populations devant déjà se partager un territoire plus restreint et plus hostile.

 

* l'empoisonnement général : les volcans - et donc les trapps - eux-aussi sont de grands pourvoyeurs d'hydrogène sulfuré et, émis en grande quantité, ce gaz s'est combiné avec l'oxygène restant des océans aboutissant à désoxygénation et acidification des eaux : difficile pour les habitants de ces endroits de résister longtemps.

 

     Sur Terre, la situation n'était guère meilleure avec la conjonction des actions délétères de l'hydrogène sulfuré et du dioxyde de carbone. Les scientifiques spécialistes de la question avancent les chiffres suivants : au moment de l'extinction Permien-Trias, le taux d'oxygène au niveau de la mer était équivalent à celui d'aujourd'hui au dessus de 2000 m d'altitude. Dans la dizaine de millions d'années qui a suivi, la raréfaction de l'oxygène s'est poursuivie au point que l'air respirable avait fini par correspondre à celui que l'on trouve de nos jours au dessus de 5300m. On comprend dès lors que peu d'organismes vivants ont pu résister à un tel régime.

 

* l'élévation constante des températures : comme pour tout effet de serre, les températures, nous l'avons déjà vu, ont augmenté de façon sensible jusqu'à atteindre les 50° voire plus en moyenne journalière d'été tandis que les hivers devaient être redoutablement rigoureux.

 

     Les éventuels coupables ne manquent pas et, plus récemment, a été proposé l'action mortifère d'un puissant gaz à effet de serre, le méthane. En effet, certains chercheurs se demandent si les seuls gaz toxiques des trapps peuvent avoir conduit à une élévation si considérable des températures. Or, depuis 1971, on s'intéresse de près au pergélisol sibérien qui renferme d'immenses quantités de méthane (10 000 milliards de tonne d'équivalent carbone), gaz toxique redoutable puisque, à l'échelle d'un siècle, il est 24 fois plus puissant que le CO2. (C'est d'ailleurs une des grandes angoisses du moment de savoir que le réchauffement climatique actuel pourrait libérer le méthane piégé par les glaces de Sibérie ce qui accentuerait le réchauffement en un cercle vicieux infernal). Pour le désastre du Permien, l'augmentation des traces de libération de méthane (le carbone12) apparaissent un peu après la date fatidique : le méthane ne serait donc pas le tueur principal mais un exécutant secondaire...

 

     Signalons pour être complets que, comme pour la cinquième extinction de masse (celle d'il y a -65 MA qui vit disparaître les grands sauriens), on rechercha avec beaucoup d'attention les cicatrices d'un éventuel astéroïde pouvant s'être écrasé à cette période sur Terre mais sans que les différents cratères successivement proposés n'emportent la conviction des scientifiques.

 

     Diminution de la surface de vie, raréfaction de l'air remplacé par des gaz toxiques à effets de serre,  pluies acides, augmentation de l'action ionisante des rayons solaires par disparition de la couche d'ozone, élévation généralisée des températures, le tout se poursuivant sur des centaines de milliers d'années, tout ceci explique que la Vie a failli totalement disparaître de la surface de la Terre. Pourtant, contrairement à ce que pouvait laisser prévoir ce scénario cataclysmique, elle résista quand même.

 

 

 

 

La vie est plus résistante qu'on le croit

 

 

     L'affaire est entendue : la crise du Permien fut exceptionnelle puisque trois-quarts des espèces terrestres et plus des 9/10 des espèces marines disparurent. Comme toujours lors d'une extinction massive, il y eut des perdants (beaucoup) et des gagnants (moins nombreux) qui eurent l'avantage considérable de trouver un environnement soudain "libéré" ce qui permit leur développement rapide, voire, pour certaines espèces, une véritable radiation (c'est à dire une nouvelle et intense diversification géographique).

 

        Précisons tout d'abord que la flore fut relativement épargnée. Bien sûr, elle a fortement évolué à cette époque mais surtout en raison de l'élévation des températures qui privilégia les plantes peu exigeantes en climat sec comme les conifères et les cycadales (palmiers), les plantes herbacées et les fougères.

 

           Sur Terre, bien qu'il soit toujours difficile d'affirmer avec certitude pour ces temps anciens, il semble que les reptiles dominants, les synapsides (dont font partie les thérapsides cités en début de texte et les pelycosaures "à voile"), sont ensuite toujours présents mais au prix de renouvellements importants des différentes lignées. Ces reptiles dits anciennement "mammaliens" qui, souvent, ressemblent aux varans d'aujourd'hui (les pelycosaures étaient très agiles) se retrouveront au Trias qui suit et ils concurrenceront un temps les dinosaures. Chez les synapsides herbivores, les dicynodontes qui sont des reptiles dotés de dents fouisseuses ne réchappent que par une seule de leurs espèces (lystrausaurus). Les cynodontes, en revanche, s'en sortent très bien : certains d'entre eux existeront jusqu'au Jurassique inférieur (-180 MA), soit encore 70 millions d'années ! Ces reptiles subsisteront, certes, au mésozoïque (ère secondaire) mais sous la forme de petits animaux fouisseurs insectivores, probablement à sang chaud et parfois poilus, les précurseurs des mammifères. Ce qui fait leur singularité (qui, bien longtemps après sera transmise aux mammifères), c'est la faculté qu'ils ont, à l'inverse des autres reptiles, de pouvoir mâcher la nourriture tout en respirant : les autres reptiles, en effet, ne le peuvent pas et c'est la raison pour laquelle ils avalent la nourriture par gros morceaux ce qui ralentit la digestion... et les réponses à la prédation. Les cynodontes avaient des dents bien différenciées et des muscles masticateurs développés tout en gardant une apparence générale de reptile archaïque.

 

          En revanche, les prédateurs du Permien supérieur, les gorgonopsiens ne survivent pas. Eux aussi faisant partie des thérapsidés, leur nom fait allusion aux Gorgones de la mythologie

gorgonopsien

grecque, ces femmes aux chevelures de serpents : ils étaient, en effet, les superprédateurs de cette époque, s'attaquant à toutes les proies rencontrées. Curieusement, bien que n'ayant rien à voir avec les mammifères, ces animaux leur ressemblaient avec un appareil dentaire voisin du nôtre (mais avec deux canines de plus de 10 cm de long), des pattes plus élancées que celles habituelles des reptiles, une apparence générale plus gracieuse. Nous ne savons pas, en revanche, s'ils possédaient un pelage. Faute de nourriture, les gorgonopsiens disparurent complètement lors de l'extinction.

 

          En milieu marin, l'hécatombe fut encore plus importante. On pourrait dire pour résumer très grossièrement que disparurent principalement ici les animaux fixés qui se nourrissaient d'aliments en suspension tandis que furent plutôt épargnés les animaux pouvant se déplacer.

 

        Certains groupes disparurent totalement : par exemple, chez les arthropodes, les fameux trilobites, les euryptides (ou scorpions de mer) et les grands foraminifères, essentiellement représentés par les fusulines qui vivaient posées sur les fonds océaniques, sont anéantis. Il semble, toutefois, que ces groupes aient commencé à décliner avant l'extinction qui serait en quelque sorte apparue comme le dernier coup porté. D'autres groupes souffrirent énormément mais sans disparaître totalement : c'est le cas de certains brachiopodes qui dominèrent les océans au paléozoïque ; ces animaux à coquilles bivalve sont aujourd'hui représentés par moins de 330 espèces, le groupe ayant perdu lors de l'extinction permienne 50 familles soit 90% des genres. D'autres subissent aussi de lourdes pertes : c'est le cas de divers échinodermes comme les étoiles et concombres de mer, les échinides (oursins : un seul genre survivant est à l'origine de tous les oursins modernes), les crinoïdes, etc. Signalons également la diminution importante des poissons cartilagineux (du type de la raie), dominants jusque là qui, sans disparaître complètement, laissent leur place aux poissons osseux.

 

         Quoi qu'il en soit, cinq pourcents des animaux marins de cette époque lointaine ont donc donné toutes les espèces actuelles.

 

           L'extinction de masse du Permien fut terrible et il faudra plus de 30 millions d'années à la Vie pour rebondir, ce qui n'est pas rien  !

 

 

 

 

Réalité des extinctions de masse

 

 

          Dans les années 1980, certains spécialistes scientifiques de la question avancèrent l'hypothèse qu'il existait peut-être une rythmicité des extinctions : ils crurent discerner certains pics de fréquence, notamment pour des extinctions mineures revenant régulièrement au cours des temps géologiques. On avança même que, peut-être, entraînée par la rotation du Soleil autour du centre de la Galaxie, notre planète traversait à dates fixes des portions de l'Univers "toxiques" pour la Vie.  À moins qu'il ne se soit agi de chutes régulières de météorites géants. Ces idées sont aujourd'hui abandonnées par la majorité des scientifiques qui pensent qu'il s'agit là essentiellement d'artéfacts statistiques.

 

          Il n'en reste pas moins que la Vie faillit disparaître à plusieurs reprises et singulièrement au Permien qui nous intéresse aujourd'hui. A-t-on identifié des causes communes à ces différents cataclysmes ? La seule extinction dont on soit à peu près certains qu'elle est la conséquence de la chute d'un météorite géant est la dernière (au Crétacé, il y a 65 MA avec la disparition des dinosaures). Pour les quatre précédentes, l'impact d'une météorite pourtant consciencieusement recherché n'a jamais été démontré. Restent les phénomènes volcaniques, souvent présents mais à des degrés divers, les modifications de la configuration des continents (et donc des modifications de vie) et de la profondeur des océans correspondants, l'intervention de gaz à effets de serre d'origine variable : en somme, bien des phénomènes souvent liés mais dont la coexistence à un moment donné semble plutôt dûe au hasard

 

          Pour la Vie, en tout cas, ces événements ne furent pas anodins puisque, comme nous l'avons dit, elle faillit être totalement anéantie, bien des espèces animales ne devant leur salut qu'à la survie de quelques individus. Des espèces dominantes furent soit détruites, soit presque réduites à néant : leur disparition permit alors la libération de niches écologiques et le développement de nouveaux arrivants qui, sans l'extinction, n'auraient jamais pu prospérer à leur tour (je pense à l'exemple parfait de la disparition des dinosaures au Crétacé sans laquelle les mammifères - et notamment l'espèce humaine - n'auraient jamais pu dominer le monde). On peut presque se demander s'il ne s'agit pas là, à l'échelle géante, d'un mécanisme de sélection naturelle. Les lois de l'Évolution en dimension planétaire en quelque sorte…

 

           Il reste évidemment que si extinctions de masse il y a eu, et ce à plusieurs reprises, il peut en arriver d'autres. Elles ne sont toutefois pas si fréquentes : cinq en l'espace de plus de 400 millions d'années… Cependant, un million d'années est déjà un chiffre que notre cerveau humain ne peut réellement saisir, lui qui est habitué à ne connaître qu'une civilisation vieille de tout au plus 5 000 à 6 000 ans. Et la dernière extinction eut lieu il y a… 65 millions d'années  !

 

        Toutefois il existe depuis peu - moins de 200 ans - un élément nouveau sur Terre : la modification radicale des conditions de vie avec l'apparition d'un réchauffement climatique par gaz à effet de serre et la réduction des territoires nécessaires à l'épanouissement des espèces animales présentes : étrange coïncidence puisque c'est en grande partie l'explication de l'extinction permienne  ! Seulement, cette-fois ci, pas de hasard : l'Homme et lui seul est responsable du bouleversement à venir. Ira-t-on jusqu'à dire qu'il s'agit de la sixième extinction de masse ou faut-il prétendre qu'il s'agit seulement d'un épiphénomène prévu par la théorie de l'Évolution à savoir la prise de pouvoir d'un superprédateur ? Je laisse à chacun des lecteurs le soin de conclure selon sa propre sensibilité.

 

 

 

 

 

 

Sources :

 

1. Wikipedia France ; Wikipedia USA

2. les dossiers de la Recherche, 39, mai 2010

3. Encyclopaedia Universalis

4. Encyclopaedia Britannica

5. www.futura-sciences.com

 

 

 

Images :

 

1. la Pangée (sources : www.futura-sciences.com)

2. dimétrodon (sources : dinosoria.com)

3. nautile (sources : biodiversite.nc)

4. carte des continents au Permien (sources : blogs.mediapart.fr)

5. trapps de Sibérie (sources : www.earth-of-fire.com)

6. océans terrestres (sources : 123ocean.com)

7. pergélisol sibérien (sources : futura-sciences.com)

8. dicynodonte (sources : dinosoria.com)

9. gorgonopsien (sources : paleodico.wifeo.com)

10. trilobite (sources : en.wikipedia.org)

(pour lire les légendes des illustrations, passer le curseur de la souris dessus)

 

 

Mots-clés : extinctions de masse - Pangée - reptiles mammaliens - tectonique des plaques - volcanisme - effet de serre - trapps de Sibérie - hydrogène sulfuré - dioxyde de carbone - pergélisol sibérien - trilobites - fusulines - sixième extinction de masse

(les mots en gris renvoient à des sites d'information complémentaires)

 

 

 

 

Sujets connexes sur le Blog

 

1. les extinctions de masse

2. la dérive des continents ou tectonique des plaques

3. spéciations et évolution des espèces

4. la notion d'espèce

 

 

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mise à jour : 16 mars 2023

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Publié le par cepheides
Publié dans : #paléontologie

 

 

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     Les premières cellules vivantes qui apparurent il y a plusieurs milliards d’années se sont progressivement complexifiées, organisées et diversifiées au fil du temps au point, aujourd’hui, de décliner leurs lointains descendants en des millions d’espèces différentes. Nous nous sommes déjà posés la question de savoir ce qu’était une espèce et comment chacune pouvait être différente des autres (voir le sujet dédié : la notion d'espèce). On peut également se demander pourquoi il en existe une telle profusion et une telle variété de formes. C’est la raison pour laquelle nous allons essayer de comprendre quels sont les mécanismes qui concourent à la formation des espèces nouvelles et donc à la diversité globale : il s‘agit là d’un des fondements de l’Évolution qui complète parfaitement la vision darwinienne de la Vie sur notre planète.

 

 

Mais, une espèce, c’est quoi au juste ?

 

     Au préalable, il convient effectivement de définir ce qu’est une espèce et ce n’est pas si facile, notamment dans le règne végétal. Toutefois, dans le sujet consacré à ce problème, nous avions avancé une définition, la plus complète et la plus proche possible de la réalité, définition qui est la suivante :

« Une espèce est un groupe d'êtres vivants pouvant se reproduire entre eux (interfécondité) et dont la descendance est fertile. Elle est l'entité fondamentale des classifications qui réunit les êtres vivants présentant un ensemble de caractéristiques morphologiques, anatomiques, physiologiques, biochimiques et génétiques, communes. »

 

     Les individus d’une même espèce sont par conséquent les seuls à pouvoir engendrer une descendance qui leur sera semblable. À l’inverse, des individus de deux espèces différentes ne pourront pas donner dechien-chat.jpg descendants féconds, même s’ils se ressemblent énormément (on pense, par exemple, au cheval et à l’âne). On peut aussi affirmer qu’il y eut un moment, il y a plus ou moins longtemps, où les représentants de deux espèces n’en formaient alors qu’une seule (ancêtres communs). La question qui se pose est donc la suivante : comment et pourquoi des individus appartenant à une même espèce finissent-ils par donner des descendants d’espèces différentes ou, dit d’une autre manière, comment et pourquoi ces populations au départ identiques divergent-elles ?

 

 

L’obtention de nouvelles espèces : les spéciations

 

     Le processus évolutif par lequel apparaissent de nouvelles espèces est appelé spéciation. Contrairement à ce que l’on entend parfois ici ou là, l’apparition d’une nouvelle espèce ne survient pas brutalement, d’un coup, suite à la survenue d’on ne saurait quel élément mutagène. Il s’agit, au contraire, d’un processus progressif qui fait qu’une population au départ homogène (et donc parfaitement interféconde) va se scinder peu à peu en deux groupes différents qui ne pourront plus avoir de descendants communs : devenues isolées l’une de l’autre au plan de la reproduction, on a alors affaire à deux espèces biologiques différentes mais chacune d’entre elles évidemment tout à fait authentique.

 

     C’est l’éthologue Ernst Mayr (1904-2005) qui le premier évoqua ce terme de spéciation pour qualifier cet évènement important de la vie des ernst-mayr-2.jpgespèces et il rappela au passage qu’une spéciation résulte notamment de deux éléments très importants de l’Évolution : la sélection naturelle et /ou la dérive génétique.

 

     Rappelons pour mémoire que la sélection naturelle est l’un des mécanismes principaux induisant l’évolution des espèces et elle s’appuie sur des éléments multiples : citons, parmi les plus importants, la lutte pour la survie au plan des ressources alimentaires disponibles, de la disponibilité géographique, de l’habitat, etc., la sélection sexuelle par les pariades (rituel de séduction) dans les espèces sexuées, « l’altruisme » génétiquement induit… Au bout du compte, l’individu le mieux adapté à son environnement du moment pourra se reproduire plus facilement que les autres et, ainsi, transmettre ses gènes à ses descendants, permettant la conservation des éléments les plus favorables à l’espèce, ce qui assure à cette dernière sa transformation et son adaptation au fil du temps.

 

     La dérive génétique citée également par Ernst Mayr est un autre phénomène. Il s’agit de la modification aléatoire et imprévisible du matériel génétique au sein d’une population, indépendamment de la sélection naturelle, d’une mutation ou d’une migration : on pense, par exemple, au hasard total qui prélude, chez les individus sexués, à la rencontre d’un spermatozoïde et d’un ovule. On comprend que l’importance de cet élément est d’autant plus intense que l’on se trouve dans une population numériquement faible !

 

     Quels que soient les mécanismes en jeu, une partie d’une espèce donnée et parfaitement individualisée va se séparer de la population « mère » au point que ses représentants ne pourront plus se reproduire avec ceux de l’espèce d’origine : une nouvelle espèce est alors née et c’est bien ce phénomène que l’on appelle spéciation.

 

 

Les différents types de spéciation

 

     Le seul fait que deux groupes issus d’une même population d’individus soient séparés durant un certain temps (d’ailleurs variable suivant les espèces) entraîne l’impossibilité ultérieure d’une reproduction pour les individus d’un groupe avec ceux de l’autre : la spéciation est avant tout une séparation et cette séparation revêt différents aspects.

 

     * La plus connue – mais aussi la plus facile à comprendre – est la spéciation géographique qui existe à des degrés divers ; les scientifiques l’ont appelée du nom un peu barbare de spéciation allopatrique. Évoquons tout d’abord

 

la spéciation géographique pure (que certains appellent « vicariante »)

 

     Deux populations de même origine vont diverger en s’isolant l’une de l’autre à l’occasion d’un changement climatique ou écologique majeur entraînant l’apparition d’une barrière naturelle (par exemple, le changement du cours d’un fleuve, la survenue d’un bras de mer, l’apparition d’une montagne, des remaniements dus à un tremblement de terre, peu importe). Sont alors créés des « isolats » au sein desquels une différenciation progressive apparaît. Il suffit que l’événement soit suffisamment important pour diviser effectivement l’ensemble concerné par le phénomène en deux populations différentes mais il faut également, bien entendu, que cette séparation dure assez longtemps.

 

     Un exemple bien connu est celui des goélands des côtes d’Europe, goéland bruntantôt argentés, tantôt bruns. Ces deux espèces cohabitent sur un même territoire mais ne s’hybrident jamais. Leur séparation remonte à la dernière glaciation dont le maximum culmina il y a un peu plus de 20 000 ans. La distribution des goélands qui couvrait le pôle et les côtes arctiques du  Canada et de la Sibérie a alors été fractionnée par le grand froid, les glaciers repoussant les populations plus au sud dans ce que l’on peut appeler des refuges glaciaires, sortes d’isolats de circonstance. Nous vivons à présent une période interglaciaire et les populations de goélands ont pu remonter vers le nord : il existe de ce fait toute une chaîne de cesgoeland-argente_0.jpg oiseaux pouvant se reproduire mais aux deux extrémités, les goélands bruns et les goélands argentés sont devenus des espèces complètement différentes…

 

     Un même phénomène a été observé avec le moustique de la ville de Londres dont il n’existait au départ qu’une seule espèce (Culex pipiens) ne se nourrissant que de sang d’oiseau. A l’occasion de travaux dans le métro, quelques colonies de moustiques s’y sont introduites mais c’est un endroit où l'on rencontre à l’évidence plus de mammifères (souris, rats… et humains) que d’oiseaux ! Assez rapidement (population faible donc dérive génétique intense, voir plus haut) se créa une nouvelle espèce de moustiques (Culex molestus) aujourd’hui incapable de se reproduire avec les moustiques d’origine. On avance même le fait qu’il existerait autant de sous-espèces de Culex molestus que de lignes de métro !

 

     On peut également citer l’exemple des souris de Madère : les souris de ces îles sont proches de Mus musculus, la souris grise dite domestique en Europe centrale et du sud (et donc du Portugal) mais avec des traces ADN de souris du nord de l’Europe traduisant très certainement le passage des Vikings vers l’an 900… Aujourd’hui, spéciations aidant, il existe six espèces différentes de souris à Madère, parfois distantes de seulement 10 km, capables certes de s’accoupler mais pour donner des hybrides stériles.

 

          . la spéciation insulaire est une variante de celle que nous venons de décrire en ce sens qu’il s’agit ici le plus souvent de la colonisation d’un isolat en marge de la population principale par un petit groupe d’individus qui va rapidement diverger d’avec elle : on pense, par exemple, à la colonisation d’une île près de la côte.  L’exemple emblématique de ce type de spéciation est celui dit des « pinsons de Darwin » puisque c’est ce cas qui conforta la pensée du savant anglais sur l’Évolution des espèces.

 

les pinsons des îles Galápagos : en réalité, lors de son passage aux îles Galápagos à bord du Beagle, Darwin avait bel et bien prélevé des échantillons mais sans en comprendre encore la portée. Ce n’est que bien plus tard, puisqu’il n’était pas expert ornithologue, qu’il confia ses spécimens de pinsons à John Gould (1804-1881) un spécialiste renommé ; celui-ci lui expliqua que ses pinsons étaient tous d’’espèces différentes (bien qu’appartenant à un même groupe d’oiseaux) et non pas des variantes pinsons-galapagos.jpgd’une même espèce. Interloqué, Darwin – qui n’avait pas noté les lieux de ses prélèvements – se reporta aux collectes des autres membres de l’expédition… pour s’apercevoir que chaque espèce de pinson correspondait à une île bien précise. La conclusion fut pour lui évidente : chaque île étant un habitat spécifique, la sélection naturelle avait permis de choisir les individus les mieux adaptés à un milieu particulier (par exemple, la finesse du bec d’une espèce de pinsons lui permet de se nourrir de la chair de cactus, principale ressource de son île, tandis qu’une autre espèce possède un gros bec pour casser des graines, seule nourriture à sa disposition ; ailleurs, une autre espèce a un bec étroit et pointu pour attraper des insectes, etc.). Une évolution donc différente car séparée, les différences avec le pinson de départ portant essentiellement sur les modifications génétiquement acquises en raison du milieu spécifique, mais une évolution conduisant à la formation d’espèces différentes, devenues incapables de se reproduire ensuite entre elles… Il s’agit bien là d’un cas exemplaire de spéciation allopatrique de la variante « effet fondateur ». On peut retrouver ce même phénomène pour

 

la mouche drosophile : cet animal, si précieux pour la génétique depuis les travaux de Thomas Hunt Morgan (1866-1945) a, en effet, été tout particulièrement étudié dans l’environnement très spécial de Hawaï. Cet archipel est composé de nombreuses îles colonisées par Drosophila melanogaster, la « mouche à vinaigre ». L’étude des différentes espèces de mouches drosophiles le long de ces îles a montré plusieurs groupes qui se répartissent toujours de la même façon : les espèces ancestrales sont presque toutes à l’ouest tandis que les espèces dérivées se trouvent Hawaii hotspot cross-sectional diagramà l’est. Pourquoi cette répartition étrange ? Tout simplement parce que Hawaï est un ensemble d’îles volcaniques qui, depuis 40 millions d’années, se créent à partir d’un « point chaud » Pacifique avant de se déporter vers l’ouest (par la tectonique des plaques) où elles finissent par être submergées par l’océan. De ce fait, les îles « nouvelles » sont à l’est, des îles encore peu peuplées… et colonisables par les drosophiles qui, localement, finissent par diverger de la souche originale : sur 103 espèces de mouches étudiées, quasiment toutes sont endémiques d’une île bien précise.

 

          . la spéciation par zone de contact étroite, autre variante de spéciation allopatrique, se produit lorsque les populations concernées occupent des territoires différents mais se superposant sur une étroite bande de contact : on y trouve alors des hybrides susceptibles de pouvoir s’accoupler avec les représentants de chaque population alors que celles-ci sont déjà séparées et différentes. On peut citer le cas des corneilles noires, une espèce de passereaux de la famille des corvidae (ceux-là même dont j’expliquais dans un sujet précédent qu’ils sont probablement parmi les plus intelligents des animaux). On les rencontre sur un immense territoire englobant une grande partie de l’Europe et de l’Asie mais si les corneilles occidentales sont bien noires, celles qui vivent plus à l’est sontcorneille-mantelee.jpg  mantelées (c'est-à-dire que la couleur de leur dos est différente de celle du reste de leur corps) ; cette légère différence a longtemps fait croire qu’il s’agissait de variantes locales d’une même espèce mais, en 2002, une observation plus soutenue a permis de conclure au peu de vigueur des rares hybrides existants et, du coup, la corneille argentée a été élevée au rang d’espèce à part entière : il s’agit bien dans ce cas d’une spéciation. La corneille d’Amérique qui sévit, elle, aux USA, au Canada et dans le nord du Mexique est une espèce différente de la corneille noire avec laquelle ni accouplement, ni hybridation n’est plus possible : la spéciation est ici plus ancienne.

 

 

     * spéciation dans une même zone de contact (dite sympatrique). Moins fréquente, cette spéciation concerne des populations qui ont divergé bien qu'occupant un même territoire. Si l’isolation géographique n’est pas en cause, c’est que l’explication de cette séparation se trouve ailleurs. Longtemps nié par un grand nombre de scientifiques, il semble que ce type d’évolution des espèces soit bien réel à défaut d’être le plus fréquent. Quels peuvent être les facteurs induisant ce type de spéciation ? Cela dépend évidemment des populations concernées :

 

          . la mouche de l’aubépine : l’aubépine (un arbre qui pousse dans l’hémisphère nord) est parasité depuis toujours par une mouche qui se nourrit de ses fruits. En 1864, des pomiculteurs américains s’aperçurent qu’un parasite inconnu attaquait leurs pommiers : il s’agissait en fait d’une variété de cette mouche de l’aubépine délaissant sa proie d’origine. Pourtant, en laboratoire, la mouche de l’aubépine et celle, nouvelle, du pommier se croisent facilement en donnant une descendance fertile. Dans la nature, c’est totalement différent et les accouplements sont rares avec des hybrides peu nombreux. Tout se passe comme s’il existait une barrière précopulatoire conduisant à un isolement reproductif. La cause, ici, est probablement d’ordre génétique et conduit à des différences de comportement (orientation visuelle et/ou olfactive).

 

          . le cas très spécial des orques. L’orque – que l’on appelle également épaulard – est un mammifère marin qui se trouve au sommet de sa chaîne alimentaire : c’est donc un superprédateur. Cet animal, très social et vivant souvent en familles, se répartit en deux grands groupes nommés résidents et nomades. Les orques résidents, souvent en colonies d’une trentaine d’individus, reviennent chaque année dans la même zone où ils se nourrissent de poissons, notamment des saumons. En revanche, les orques nomades sont toujours en déplacement. Solitaires le plus souvent, cesorque-attaque.jpg orques nagent en silence et ce sont elles qui attaquent les grands mammifères tels que phoques et otaries, lions de mer, marsouins, pingouins par échouage volontaire sur la terre ferme, voire baleines. De morphologie identique et habitant le même océan, ces deux types d’orques ne chassent pas les mêmes proies, n’ont pas la même façon de vocaliser… et ne se reproduisent pas entre eux.

 

     On peut donc voir que si l’éloignement spatial, géographique est le paramètre le plus fréquent dans la formation d’espèces différentes, il peut exister d’autres facteurs aboutissant également à une modification génétique. L’important reste de bien comprendre que, une fois la spéciation réalisée, il n’y a plus de retour en arrière et l’espèce nouvellement apparue restera parfaitement individualisée jusqu’à ce qu’une nouvelle spéciation la touche à son tour.

 

 

Vitesse des spéciations

 

     Classiquement, on a toujours pensé qu’une spéciation était un phénomène lent et progressif, nécessitant des centaines de milliers d’années. Dans le darwinisme classique, on évoque un mouvement uniforme et graduel, variable évidemment selon les espèces et les milieux considérés. Il paraît, en effet, logique de penser que l’apparition d’une nouvelle espèce sera plus rapide pour, par exemple, la drosophile qui se reproduit à grande vitesse que pour un grand mammifère.

 

     Mais alors, les souris de Madère dont plusieurs espèces sont apparues en moins de 1000 ans : cas particulier ? C’est possible mais une autre explication peut-être avancée. On a eu l’occasion de l’évoquer déjà à maintes reprises mais la notion de transformation progressive des espèces a été tempérée  par la théorie des équilibres ponctués de Gould et Eldredge. Ces deux scientifiques proposent, en effet, de considérer l’évolution darwinienne des espèces selon une histoire qui associerait de longues périodes d’équilibre entrecoupées de rapides périodes de changements majeurs (voir le sujet : les mécanismes de l'Évolution). La majorité des évolutionnistes penche actuellement pour un mélange de ces deux mécanismes selon les espèces considérées.

 

 

Hasard et évolution des espèces

 

     L’Évolution des espèces – et plus généralement la Vie – ne suit pas un plan préétabli ou décidé à l’avance. C’est le hasard qui détermine l’avancée du vivant et c’est parfaitement vrai pour l’apparition d’espèces nouvelles ; cette dernière éventualité dépend, on vient de le voir, de conditions le plus souvent environnementales dont la prévision est impossible : une rivière qui change son cours, une île qui apparaît lors d’un tremblement de terre, d’un phénomène volcanique, etc. Un peu comme la chute de l’astéroïde qui, il y a 65 millions d’années, a permis l’émergence des mammifères en détruisant les grands sauriens.

 

     Pour faire comprendre cet aspect de l’Évolution, Stephen J. Gould, dans son livre « la vie est belle » (Le Seuil pour la traduction française), utilise une image : assimilons l’Évolution à un film, écrit-il, et rembobinons- le pour le rejouer ; il est absolument certain que la Vie ne repasserait pas par les mêmes étapes tant elles sont dépendantes d’éléments essentiellement dus au hasard : dans cette optique, l’Homme n’aurait qu’une chance minuscule de réapparaître… Et cet Homme - n'en déplaise à sa vanité - n’est certainement pas le « progrès ultime », le sommet incontournable d’un processus progressant vers l’émergence de l’esprit. En réalité, il n’y a jamais rien de nécessaire et tout peut être toujours rejoué. Toujours.

 

     Il en est pour la transformation des espèces comme pour la survie des individus. On y retrouve une histoire en deux temps : d’abord, c’est le hasard qui joue le premier rôle dans la production des variations (quel spermatozoïde pour quel ovule ?) puis les lois déterministes entrent en action (un partenaire sexuel est-il atteignable ? L’inondation va-t-elle tuer le groupe ?) : il s’agit donc d’un jeu double associant variation et sélection, pur hasard et déterminisme. La nécessité, elle, est toujours absente de l’histoire totale qui évolue donc sans but défini.

 

     Non, l’organisme n’est pas parfait et permet seulement à la Vie de pouvoir se maintenir. François Jacob, il y a déjà bien des années, avait déjà formulé cela en parlant du « bricolage » de l’Évolution, un terme qui Francois-Jacob.jpgtraduit à la fois l’imperfection dans la Nature et la réponse par le déterminisme et le hasard. En somme, le « progrès » vers un avenir radieux (d'ailleurs variable selon les sociétés humaines) est fictif : il n’existe que de simples transformations qui permettent à la Vie de se maintenir et, si possible, de s’étendre.

 

 

 

 Sources :

1. Wikipedia France

2. www.cnrs.fr/cw/dossiers/dosevol

3. Encyclopediae Universalis

4. Encyclopediae Britannica

5. www.snv.jussieu.fr/vie/

 

 

Images :

 

1. mulet (sources : tizours.free.fr)

2. chien et chat (sources : cdn.pratique.fr)

3. Ernst Mayr (sources : www.achievement.org)

4. goéland brun (sources : fotooizo.free.fr)

5. goéland argenté (sources : www.pratique.fr)

6. pinsons des îles Galapágos (sources : wwwsamizdat.qc.ca)

7. le point chaud de Hawaï (sources : wikipedia.org)

8. corneille mantelée (sources : fr.wiktionary.org)

9. attaque d'épaulard (sources : www.borispatagonia.com)

10. François Jacob (sources : infodsi.com)

(pour lire les légendes des illustrations, posser le pointeur de la souris sur l'image)

 

 

Mots-clés : notion d'espèce - Ernst Mayr - sélection naturelle - dérive génétique - pariade - altruisme génétique - spéciation allopatrique - goélands bruns et argentés - moustique londonien - souris de Madère - spéciation insulaire - pinsons des galapágos - Thomas Hunt Morgan - corneilles noires ou mantelées - mouche de l'aubépine - orques - théorie des équilibres ponctués - François Jacob

 (les mots en gris renvoient à des sites d'information complémentaires)

 

 

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1. les extinctions de masse

2. les mécanismes de l'Évolution

3. reproduction sexuée et sélection naturelle

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8. la théorie des équilibres ponctués

 

 

 

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mise à jour : 17 mars 2023

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Publié le par cepheides
Publié dans : #Évolution, #paléontologie

 

 

  Supersaurus.jpg

 

 

 

 

      Tous les enfants ayant fréquenté une plage à marée basse se sont sans doute un jour amusés à créer un réseau compliqué de petits canaux dans lesquels l’eau de mer, transpirée par le sable mouillé, s’écoule vers l’océan qui s’éloigne. Au milieu de son architecture temporaire, l’enfant aura beaumaree-basse.jpg faire, il ne pourra jamais empêcher l’eau, abandonnant ici un chenal, là une flaque, de chercher et de trouver chaque fois un chemin qu’elle empruntera au plus court. Si, par une éphémère construction sableuse, l’enfant s’avisait de l’en empêcher, l’eau trouverait inévitablement quand même une autre route et rejoindrait forcément quelque chemin d’aval. Je vois assez l’Évolution comme cette eau difficile à canaliser : au fil des âges, chaque fois qu’une niche écologique se libère, qu’une opportunité se présente, l’Évolution permet à une espèce de se transformer pour s’adapter à la modification de son environnement. Et si, d’aventure, cette transformation était trop radicale, il est à parier que des espèces entières seraient condamnées au bénéfice d’autres qui profiteraient de l’aubaine afin que la grande aventure de la Vie puisse se poursuivre.

 

      La course vers la survie par l’adaptation la plus ingénieuse est une condition indispensable pour qu’une espèce d’êtres vivants progresse : céder à l’immobilisme, pour une espèce donnée, c’est presque toujours déjà accepter sa disparition. Au sein d’une nature aveugle, c’est à chacun de trouver sans même le savoir le canal qui permettra d’avancer vers l’océan, ici l’avenir. Certains sont conduits à faire le choix du nombre comme les fourmis ou les bactéries, d’autres comme le léopard celui de la rapidité à saisir ou comme les gazelles la vitesse de fuite. Ou bien la survie dans un milieu extrême à la manière des micro-organismes des sources brûlantes des fonds sous-marins. D’autres encore ont recours à l’agilité comme araignee-tissant-sa-toile.jpgcertains singes, à la ruse comme l’araignée ou au mimétisme à la façon de ces serpents inoffensifs qui imitent la robe de leurs congénères mortels. Même l’Homme n’échappe pas à cette règle puisqu’il a su s’imposer par son intelligence. Chaque fois, il s’agit pour l’individu d’échapper à son prédateur qui, s’il ne veut pas disparaître à son tour, devra lui aussi inventer le moyen d’égaliser à nouveau les chances dans une course sans fin à une adaptation maximale.

 

      Il y a des millions d’années, afin de mieux survivre, des animaux ont été poussés dans une direction plutôt originale, celle du gigantisme. Voyons comment cela a été rendu possible.

 

 

Les sauropodes, des dinosaures géants

 

      Des milliers d’espèces différentes de dinosaures ont peuplé la Terre durant un temps très très long - des millions et des millions d’années - ce qui permit leur diversification. Il est compliqué pour le cerveau humain d’appréhender ce que signifient ces durées de temps, surtout rapportées à une vie humaine, si courte. Essayons d’utiliser une image pour nous faire une idée et réduisons l’existence de la Terre, depuis ses débuts jusqu’à aujourd’hui, à une année : à cette échelle de temps, les dinosaures auraientsauropodes.jpg alors dominé la planète depuis (à peu près) la mi-novembre jusqu’au 20 décembre. Par comparaison, la présence de l’Homme ne se situerait que dans les toutes dernières minutes précédant le 1er janvier… On comprend que l’Évolution a eu largement le temps de sélectionner des milliers et des milliers d’espèces de ces « terribles reptiles ».

 

      Il existait deux grandes familles de dinosaures, les théropodes carnivores et leurs proies potentielles, les sauropodes herbivores. C’est parmi ces derniers que l’on trouvait les géants que nous évoquons aujourd’hui. Des géants si imposants que les plus gros et les plus agressifs des théropodes – comme, par exemple, le Tyrannosaure Rex si réputé – ne pouvait rien contre eux. En effet, les plus grands des sauropodes comme le supersaurus (qui était une sorte de grand diplodocus), pesaient jusqu’à 60 tonnes, voire plus, et il avait la taille d’un immeuble de 10 étages (environ 40 m) pour une longueur de trois à quatre autobus mis à la queue leu leu ! Inutile de préciser que le tyrannosaure, avec ses 10 à 12 m de long et ses 6 à 7 tonnes ne jouait pas dans la même catégorie… Le carnivore n’avait donc theropode-acausaurus.jpgqu’une seule option lorsqu’il rencontrait un troupeau de ces géants : passer son chemin ou risquer de se faire écraser ! Du coup, ces sauropodes géants n’avaient aucun prédateur direct contre eux et leurs seuls ennemis devaient être les phénomènes naturels de disette… et probablement quelques virus. Comment ces animaux ont-ils pu en arriver là lorsqu’on se rend compte de la difficulté qu’il devait y avoir à développer et entretenir des masses vivantes aussi gigantesques ?

 

 

Un succès évolutif tenant en cinq points

 

      Les sauropodes géants étaient certainement des bêtes très calmes n’aspirant qu’à une seule chose : se nourrir et pour cela, on peut imaginer leurs troupeaux se déplaçant lentement au gré des bouquets d’arbres afin de trouver l’énorme quantité de nourriture nécessaire à leur survie. Toutefois, contrairement à certaines idées préconçues, ces dinosaures étaient relativement mobiles, voire dynamiques, n’hésitant pas – comme le prouvent leurs traces fossiles – à s’aventurer dans différents milieux comme des plages ou des tourbières. Certains scientifiques pensent même que, dans leur environnement semi-aride, ils effectuaient de véritables migrations les entraînant à la recherche de nourriture sur des centaines de km. Chez certaines espèces, ils se déplaçaient en troupeaux d’individus d’âges différents de façon à protéger les plus jeunes tandis que chez d’autres, les troupeaux étaient séparés par âge, probablement parce que les habitudes alimentaires différaient entre jeunes et adultes. Certaines traces fossiles montrent également qu’ils étaient suivis par des théropodes carnivores, peut-être à l’affût d’un jeune isolé. Quoi qu’il en soit, on leur devine des corps gigantesques avec de longs cous équilibrés par de non moins longues queues servant de balanciers (et peut-être même de fouet) tandis que leurs quatre pattes devaient ressembler aux colonnes d’un temple (les premiers dinosaures étaient tous bipèdes et seuls les théropodes agressifs le sont par la suite restés : on comprend, en effet, que quatre appuis étaient absolument nécessaires à nos herbivores géants). Cinq mécanismes adaptatifs expliquent le succès de leur course au gigantisme.

 

*  leur rapidité de croissance : les sauropodes étaient – comme tous les sauriens – ovipares et, d’après les restes fossilisés de leurs œufs, ceux-ci devaient peser environ 5 kg pour une taille d’une vingtaine de cm. Le bébé sauropode devait donc mesurer dans les 90 cm et il était alors dinosaures-oeufs.JPGparticulièrement vulnérable. Cette vulnérabilité était toutefois réduite au minimum puisqu’on évalue la prise de poids annuelle de l’animal à environ 2 tonnes (ce qui ne s’est jamais revu par la suite). Durant 20 ans, le jeune devait se nourrir le plus possible tout en évitant les prédateurs : on peut aisément deviner que tous n’atteignaient pas l’âge adulte ! Ensuite, les scientifiques estiment qu’il continuait à grossir plus lentement durant encore 10 ans pour atteindre enfin son poids « de croisière » et vivre les 30 dernières années de sa vie (l’histologie osseuse permettant d’estimer leur vie à une soixantaine d’années) sans être plus jamais menacé par un prédateur…

 

*  un cou d’une longueur jamais égalée depuis : lorsqu’on pense à ces animaux, on imagine d’abord ce long cou terminé par une toute petite tête (par rapport à l’ensemble). Ce n’est pas un hasard : il s’agit là d’un facteur adaptatif majeur. En effet, ce cou si long (jusqu’à 19 vertèbres « allongées » contre 7 chez les mammifères) permettait d’abord à l’ensemble du corps de bénéficier d’un système de refroidissement efficace. Mais l’essentiel n’est pas là : en fait ce cou si long était un moyen très astucieux de capter la grande quantité de nourriture indispensable, d’abord en atteignant sans trop d’effort des branches hautes situées hors de portée des autres herbivores (en gardant le cou à l’horizontale pour des problèmes de pression artérielle) mais surtout, par un mouvement de balancier, « d’explorer » une large zone sans avoir à déplacer le corps massif. Les scientifiques ont ainsi calculé que, pour couvrir une zone d’un hectare, un cheval doit se déplacer 5000 fois, une girafe (le plus long cou actuel) 1250 fois et un sauropode… seulement une centaine de fois. Une économie de moyens certaine.

 

*  un squelette à la fois robuste et léger : le gigantisme impose des contraintes physiques implacables. Pour supporter des dizaines de tonnes, l’armature osseuse doit être solide et résistante ; d’un autre côté, on sait que le squelette pèse souvent beaucoup et il était donc nécessaire pour ces animaux de le voir s’alléger au maximum. Chez les sauropodes, les os des membres sont denses et épais et on trouve dans leur trame de nombreux canaux et vaisseaux sanguins permettant la croissance rapidediplodocus-vertebre.jpg déjà évoquée (et donc celle de la masse totale). En revanche, les os qui ne supportaient pas directement le poids lié à la gravité étaient bien différents : ainsi, les vertèbres étaient en partie évidées, emplies de poches d’air à la façon de certains oiseaux actuels ce qui permettait un allégement conséquent. On estime que ces aménagements osseux permettaient à l’animal « d’économiser » jusqu’à 10 à 15 % de son poids.

 

*  un système respiratoire performant : bien entendu, comme tous tissus mous, aucun poumon de dinosaure n’a jamais été retrouvé. C’est donc par analogie avec les reptiles actuels (et certains oiseaux) qu’on a imaginé ce que pouvait être le système respiratoire de ces animaux. Chez l’Homme, la respiration se fait en deux temps : inspiration et expiration et c’est seulement durant la première moitié du phénomène que les alvéoles pulmonaires se remplissent d’air. Les sauropodes, eux, recevaient probablement de l’air en continu : d’abord par l’inspiration (comme chez l’Homme) puis encore lors de l’expiration par de nombreux sacs, alvéoles, poches diverses situés tout au long du corps et qui s’étaient eux-mêmes emplis d’air lors de l’inspiration : un système en somme deux fois plus performants que le nôtre ! De plus, l’atmosphère durant le mésozoïque (ère secondaire) était souvent plus riche en oxygène qu’aujourd’hui. Au bout du compte, les dinosaures géants étaient loin d’être désavantagés car qui dit plus d’oxygène, dit plus d’énergie…

 

*  un appareil digestif compétitif : trouver chaque jour environ une tonne  de végétaux n’est certainement pas une sinécure mais, plus encore, assimiler cette nourriture demande un appareil digestif spécialement adapté ! C’était en effet bien le cas : contrairement aux herbivores de notre temps, les sauropodes ne passaient pas la plus grande part de leur temps à mâcher ; ils se contentaient d’avaler d’énormes quantités de végétaux grâce à leur dentition renouvelable dite spatulée (en forme de cuiller), végétaux qui pouvaient séjourner jusqu’à deux semaines dans leurs estomac et intestins et avoir largement le temps de fermenter : là encore, il s’agit d’un avantage lié au gigantisme. Moins performant certainement que celui des ruminants actuels, le système digestif de ces grands sauriens dinosaures-gastrolithe.jpgs’améliorait par l’ingestion de gastrolithes, c'est-à-dire de pierres que l’animal avalait pour favoriser sa digestion par broyage, à la façon des pierres de gésier des oiseaux contemporains.

 

      Les cinq « trouvailles » adaptatives des sauropodes géants expliquent le succès de ces animaux qui, se rendant presque invulnérables à la prédation, ont pu se maintenir sous de multiples espèces différentes durant plus de 130 millions d’années

 

 

Une disparition sans rapport avec leur taille

 

      Contrairement à ce que l’on aurait pu penser, ce n’est pas leur taille qui explique leur disparition au crétacé mais l’extinction de masse dont on pense qu’elle fut provoquée par la météorite géante du Yucatan, même si d’autres facteurs ont pu également influencer. On comprend que leur taille, bien qu’elle ait sensiblement diminué depuis le Jurassique, les prédisposa immédiatement à périr sous le déluge de feu qui eut alors lieu mais, de toute façon, ils n’auraient pas pu survivre à la disparition des plantes dont la photosynthèse ne se faisait plus en raison du nuage de cendres entourant la Terre.

 

      Cousins des théropodes dont descendent les oiseaux, les sauropodes sont en définitive plus proches des mammifères que des reptiles. Leur course au gigantisme peut être vue comme un excellent moyen d’adaptation à un monde où les prédateurs étaient particulièrement virulents ; eux-aussi, d’ailleurs, cherchèrent à grandir mais jusqu’à un certain point seulement : comment imaginer en effet la course d’un tyrannosaure de 40 tonnes ? Les sauropodes, les plus grands animaux que la Terre ait jamais portés, furent une réponse adaptative à une situation donnée et une réponse qui résista au temps : des dizaines de millions d’années de présence sur Terre. A titre de comparaison, rappelons que l’Homme moderne n’a que quelques dizaines de milliers d’années d’histoire. Quant à notre civilisation proprement dite…

 

 

Sources

 

1. science-et-vie.com

2. lesdinos.free.fr

3. Wikipedia.org

4. baladesnaturalistes.hautetfort.com

5. futura-sciences.com

 

 

Images

 

1. supersaurus, géant parmi les géants

(sources : anthrosaurs.com/Supersaurus.html)

2. marée basse (sources : regardsolitaires.free.fr)

3. araignée tissant sa toile (sources : leplus.nouvelobs.com/)

4. sauropodes (sources : lebloug.fr)

5. aucasaurus (sources : dkimages.com)

6. oeufs fossilisés de sauropodes (sources : jpmontfort83.over-blog.org)

7. vertèbre de diplodocus (sources : swissinfo.ch)

8. gastrolithes (sources : dinosoria.com)

 (pour lire les légendes des illustrations, passer le pointeur de la souris dessus)

 

 

Mots-clés : sélection naturelle - avantage adaptatif - théropode - sauropode - bipédie initiale - oviparité - gastrolithes - météorite du Yucatan

  (les mots en gris renvoient à des sites d'information complémentaires)

 

 

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1. les extinctions de masse

2. les mécanismes de l'Évolution

3. la disparition des dinosaures

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mise à jour : 14 mars 2023

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  Burgess.jpg

 

 

 

 

 

      Notre Terre est âgée d’environ 4,6 milliards d’années et les premiers signes de vie semblent dater de – 3,85 milliards d’années (stromatolithes de l’île d’Akilia, au Groenland, qui sont des formations calcaires construites par des colonies bactériennes). Mais la route sera longue entre ces organismes unicellulaires extrêmement simples et des animaux plusstromatolites-Akilia.jpg compliqués : il faudra en effet attendre plusieurs milliards d’années supplémentaires pour que les premiers organismes pluricellulaires – ceux qui mènent à nous – voient le jour. Toutefois, cette apparition a été relativement soudaine puisque, il y a 540 millions d’années (Ma) environ et en quelques millions d’années seulement (ce qui est très peu en termes d’âges géologiques) l’essentiel de la Vie sera présent ; cette époque lointaine porte un nom : le Cambrien et la diffusion de la Vie y a été si rapide que les scientifiques parlent « d’explosion cambrienne ». Pourquoi si vite et que sont devenus les animaux de ce temps-là, ce sont les difficiles questions sur lesquelles je souhaiterais m’attarder aujourd’hui.

 

 

 

Les premiers êtres vivants

 

 

      Le paléozoïque (anciennement appelé ère primaire) est l’ère géologique qui s’étend de –541 à -252 Ma : divisée en 6 périodes, elle commence par le Cambrien (-541 à –485 Ma), la période qui nous intéresse aujourd’hui.

 

      A cette époque lointaine, les surfaces émergées de notre globe viennent juste de se fragmenter : le supercontinent Rodinia existant rodinia.pngjusqu’alors se casse en huit masses continentales qui se réuniront à nouveau, durant tout le paléozoïque,  pour former un nouvel ensemble unique, la Pangée. Si l’on se rappelle combien la dérive des continents est lente (quelques cm par an), on comprend toute l’étendue de temps de ces périodes archaïques. C’est donc à cette époque mais durant un laps de temps plutôt court qu’apparaît un grand nombre de nouvelles formes animales.

 

 

 

L'explosion cambrienne

 

 

      Le terme d’explosion cambrienne renvoie à l’apparition, en seulement quelques millions d’années, d’animaux complexes dont les restes squelettiques vont être minéralisés et, de ce fait, conservés pour la première fois dans les archives fossiles. Plus encore, on va voir apparaître tous les grands plans d’organisation animale, chacun d’entre eux correspondant grosso modo à un embranchement distinct (comme, par exemple, celui des chordés ou celui des mollusques. Rappelons ici que les chordés, à eux seuls, comprennent poissons, grenouilles, serpents, dinosaures, oiseaux et… mammifères !). A cette époque charnière, les embranchements d’êtres vivants deviennent plus nombreux, passant de quatre à plus d’une vingtaine, la plupart n’ayant pas subsisté jusqu’à nous : on peut avancer que jamais la biodiversité n’aura été aussi importante que durant cette période… Il s’agit donc d’un bouleversement majeur dans l’agencement de la vie, peut-être l’événement le plus important pour elle dans l’histoire de notre planète.

 

 

 

la faune d'Édiacara (-250 Ma) ou la fin du Précambrien

 

 

      La période édiacarienne est annonciatrice du bouleversement qui surviendra quelques millions d’années plus tard au Cambrien.  Le site qui permit la première identification de cette faune précambrienne se situe donc à Édiacara, en Australie. Il s’agit d’une localité située au nord d’Adélaïde et c’est à cet endroit que fut mise en évidence, conservée dans des sédiments peu profonds, une faune d’animaux très spéciaux : des ediacara-dickinsonia-costata.jpgorganismes à symétrie bilatérale ou radiale, ne possédant pas de structure squelettique. D’ailleurs, ils ne possèdent pas grand-chose rappelant les animaux d’aujourd’hui : ni bouche, ni organes digestifs, membres ou queue. Composés de minces feuillets, ils sont en forme de disques mous et semblent se nourrir en filtrant l’eau, un peu comme les éponges. Ce qu’il est intéressant de noter est leur grande diversité ce qui suppose qu’ils occupaient des niches écologiques variées et qu’ils avaient donc colonisé une grande partie des fonds marins de la Terre d’alors. Des endroits semblables à Édiacara ont ensuite été trouvés un peu partout dans le monde, correspondant tous à cette même population et à cette même époque. La disparition de cette faune fut brutale, au début du Cambrien, et a peut-être été due à l’apparition de prédateurs jusque là inexistants.

 

 

 

le schiste de Burgess (-515 à -505 Ma) 

 

 

      Nous avons déjà eu l’occasion de parler de cette remarquable découverte dans un sujet spécifique (voir le sujet : le schiste de Burgess). Rappelons-en seulement les principaux éléments. En 1909, dans les montagnes rocheuses de la Colombie britannique, au Canada, le Pr Charles Walcott, un éminent paléontologue, découvre une couche de schiste noir renfermant d’étranges fossiles datant tous d’une période très ancienne, le Cambrien. Fait remarquable, ces fossiles sont particulièrement bienburgess-animaux.jpg conservés puisqu’on peut en voir les parties molles, des éléments que, habituellement, on ne retrouve pratiquement jamais. Toutefois, Walcott ne comprit pas la signification de sa découverte : selon les critères de son époque (et les préjugés qui font alors de l’Homme le « sommet » de l’Évolution), il « fallait absolument » que ces fossiles soient identifiés comme ayant donné par la suite le monde du vivant que nous connaissons, qu’ils soient tous, en somme, les « ancêtres » des animaux actuels.

 

      Il faudra attendre les années 60 et la « relecture » de ces fossiles par les paléontologues de l’Université de Cambridge (Whittington, Briggs et Conway Morris) pour comprendre combien la faune de Burgess est en réalité bien plus riche qu’imaginée jusque là. D’étranges lignées d’animaux sont alors identifiées : certaines se retrouvent dans des descendants actuels mais la plupart ont disparu sans laisser de traces. Or, il est particulièrement important d’insister sur un fait fondamental : les animaux qui n’ont pas donné de descendants étaient aussi bien armés que les autres pour survivre et certaines lignées, assurent les scientifiques, avaient « trouvé » des adaptations très ingénieuses. Pourquoi alors la sélection naturelle a-t-elle choisi certains plutôt que d’autres ? C’est simplement le fait du hasard, explique S J Gould, le paléontologue qui consacra tout un livre au sujet (« la Vie est belle », éd. du Seuil, 1991). Le hasard, c'est-à-dire les aléas de l’Évolution avec ses changements d’environnement et ses catastrophes naturelles… Comme pour Édiacara cité plus haut, on trouva d’autres « Burgess » de par le monde avec la même faune correspondant à la même époque. Et toujours cette même certitude : l’apparition de nombreuses familles d’animaux en peu de temps.

 

     Entre Édiacara (-575 Ma) et le schiste de Burgess (-510 Ma), il existait un intervalle moins connu de quelques millions d’années, correspondant à ce que l’on appelle le Cambrien inférieur. Eh bien, depuis l’ouverture du pays au monde moderne, les fouilles paléontologiques chinoises ont permis de combler cette absence de données.

 

 

 

les nouveaux sites chinois : Chengjiang

(-530 à -520 Ma)

 

 

      Ces sites sont particulièrement intéressants car les spécimens d’animaux qui y ont été retrouvés sont parfaitement conservés, parfois même mieux que ceux de Burgess ;

 

chengjiang-faune.jpg

 

ils représentent envron 190 espèces différentes correspondant à une vingtaine d’embranchements (phylums). La population de ce site du Cambrien inférieur est finalement assez proche de celle du schiste de Burgess : des animaux que l’on peut rattacher sans trop d’erreur à des embranchements connus et d’autres plus difficiles à classer voire possédant pour certains des caractéristiques étranges et totalement inconnues… Un trait commun, répétons-le, semble se distinguer : la grande rapidité (en termes géologiques) avec laquelle est apparue cette formidable diversité qui donne à cette époque le caractère d’une véritable explosion de la Vie. Pourquoi ?

 

 

 

 

causes de l'explosion cambrienne

 

 

      Comme toujours, il est difficile d’attribuer un phénomène de cette importance à une seule cause parfaitement identifiée. Les explications de l’explosion cambrienne paraissent multiples  et peut-être même certaines d’entre elles sont elles intriquées. Quoi qu’il en soit, on avance des explications extérieures (le milieu) et d’autres qui sont plus en rapport avec l’évolution intrinsèque des groupes d’animaux. Voyons cela de plus près.

 

 

* l'environnement

 

      On ne le répétera jamais assez : une modification sensible de l’environnement est un défi pour les animaux existants ; ceux qui jusque là étaient parfaitement adaptés à leur milieu voient bientôt leur existence devenir plus difficile et, la sélection naturelle étant à l’œuvre, il est indispensable que leurs descendants directs « s’adaptent » aux nouvelle conditions sous peine d’être éliminés. Au fil de dizaines de milliers d’années, c’est l’apparition de certaines mutations (qui, auparavant, n’auraient pas été retenues par la Nature) qui permettra l’adaptation des descendants au nouvel environnement et donc la survie de l’espèce quelque peu transformée, les descendants « non mutés » disparaissant peu à peu. Au Cambrien, au moins deux changements majeurs du milieu ont été identifiés :

 

      . l’oxygène : un changement évident de l’environnement de cette période est l’apparition en grande quantité de l’oxygène, un gaz produit par la photosynthèse (due pour 70% aux algues vertes et aux cyanobactéries, le reste aux plantes terrestres) pendant des millions, voire des milliards d’années : il aura fallu en effet beaucoup de temps pour que l’atmosphère de notre planète se charge en un oxygène qui représente aujourd’hui environ 21% de l’ensemble (le reste est de l’azote et quelques gaz rares). Or on sait que la taille d’un animal dépend essentiellement de sa possibilité d’oxygéner ses cellules : plus son volume est important, plus il a besoin d’oxygène…

 

      . la Terre boule de neige : avant la période qui nous intéresse et durant des dizaines de millions d’années, la Terre a subi une glaciation massive, au Terre-boule-de-neige.jpgpoint qu’elle n’était plus qu’une immense boule de glace limitant de fait les possibilités de développement des animaux (niches évolutives réduites et lumière piégée par les glaces empêchant son assimilation par les algues et les cyanobactéries). Bien que cette hypothèse ne soit pas encore totalement certaine, elle aurait le mérite d’expliquer la soudaineté de l’explosion. On pourra trouver un article complet consacré à ce sujet ICI.

 

 

* la génétique

 

      . les gènes spécifiques : on a déjà souligné l’apparition brutale et concomitante d’embranchements animaux totalement nouveaux. Or ces transformations ne peuvent s’expliquer que par l’apparition de gènes spécifiques, notamment les gènes HOX, qui conditionnent le positionnement et le développement des différents organes dans des régions bien précises de l’organisme (certains déterminent l’emplacement d’un membre, d’autres de l’œil ou des antennes, etc.). On peut imaginer que leur apparition (ou transformation) à cette époque a permis la survenue de formes de vie totalement nouvelles.

 

      . l’apparition de la vue : longtemps les animaux primitifs se sont servis des sens permettant une identification à courte distance comme le toucher et l’odorat. A partir du moment où un prédateur a pu repérer sa proie de loin, la donne a été totalement changée. L’époque cambrienne a été notamment marquée par l’apparition d’une variété d’arthropodes, les trilobites. Ces animaux avaient un ancêtre au précambrien dont on pense qu’il a été le premier à disposer d’un organe visuel rudimentaire.trilobites-phacops.jpg Rudimentaire car il n’était sensible qu’aux variations importantes de lumière (voir le sujet : l’œil, organe phare de l’Évolution). Ce nouvel organe, l’œil, donnait à son propriétaire un avantage évolutif fantastique puisque lui permettant de repérer de loin ses proies. On peut penser que l’acquisition de cet organe nouveau a précipité la « course aux armements » des différents animaux et donc l’apparition des nouvelles espèces…

 

 

* l'écosystème

 

      . l’apparition de la prédation : les animaux de la période édiacarienne que nous avons déjà évoqués ne semblaient pas souffrir d’une réelle compétition ; on pense même que c’est l’apparition de prédateurs qui a provoqué leur perte. Ce qui est certain, c’est qu’au Cambrien, la compétition était de rigueur. De ce fait, il commença à exister une sorte de course entre les proies se dotant de défenses toujours plus perfectionnées (épines, carapaces, mobilité accrue, etc.) tandis que les prédateurs trouvaient continuellement de nouveaux angles d’attaque. Cette compétition se poursuit toujours aujourd’hui (du moins dans la Nature dite sauvage) et l’apparition d’un moyen de résister à la prédation est toujours un avantage évolutif décisif expliquant la sélection naturelle. Au Cambrien, si la prédation ne représente probablement pas l’apparition de tous ces animaux nouveaux, elle y a sûrement beaucoup contribué.

 

     . l’extinction de masse de l’Édiacarien : on a déjà évoqué la disparition brutale des animaux de l’époque précédant le Cambrien. Cette disparition est-elle la conséquence de l’apparition des nouveaux animaux du Cambrien ou l’a-t-elle provoqué ? Difficile de conclure dans un sens ou dans l’autre. Ce qui est sûr, c’est que la disparition des animaux de l’Édiacarien a libéré nombre de niches écologiques immédiatement occupées par leurs successeurs…

 

      Comme on peut le voir, les explications du développement de la Vie au Cambrien ne manquent pas et il est assez probable que ce soit la conjonction de plusieurs d’entre elles qui explique le phénomène.

 

 

 

unicité de l'explosion cambrienne

 

 

      L’apparition à cette époque lointaine des différentes branches d’animaux est un phénomène réellement singulier ayant évolué en deux temps. D’abord, les animaux colonisent les fonds sous-marins, occupant toutes les niches écologiques possibles : il s’agit alors de la faune d’Édiacara apparue juste avant la période cambrienne. Ensuite, cette colonisation s’étend vers le haut à l’ensemble des océans : nous sommes alors quelques millions d’années plus tard, au Cambrien, le temps où la biodiversité sera maximale et où tout semble possible pour tous les embranchements d’animaux, même les plus surprenants. Par la suite, il n’existera jamais plus une telle profusion de vie animale…

 

      Dans toute la vie de la planète, on ne connaitra ensuite que deux « explosions de vie » analogues et elles ne concerneront que les plantes : la première se fera au Dévonien, c'est-à-dire aux environ de –400 Ma et elle verra la colonisation des terres émergées par les végétaux. Ensuite, bien plus tard, au Crétacé, ce sera la colonisation de notre monde par les plantes à fleurs : nous sommes alors au moment où vont disparaître les dinosaures, vers –65 Ma, et certains scientifiques avancent même que c’est ce bouleversement dans la flore terrestre qui est en partie responsable de l’extinction des grands sauriens.

 

      Pour les animaux, en revanche, même si la biodiversité reste relativement élevée, elle ira néanmoins en se réduisant sans cesse.

 

 

 

la biodiversité se réduit au fil du temps

 

 

      Bien souvent dans d’autres sujets de ce blog, j’ai eu l’occasion de faire remarquer que l’immense majorité des espèces ayant vécu sur la Terre, parfois durant des dizaines de millions d’années, voire plus, a aujourd’hui disparu. Depuis l’extraordinaire époque de l’explosion cambrienne, des espèces se sont éteintes faute d’avoir pu évoluer à temps, d’autres se sont transformées en des espèces si différentes qu’elles n’ont plus rien à voir avec leurs ancêtres. D’autres encore, et par centaines de milliers, ont subi un sort contraire lors d’une des cinq grandes extinctions de masse survenues par hasard lors d’une modification brutale du milieu. Ce qui fait que, aujourd’hui, bien qu’il reste des millions d’espèces différentes (surtout chez les insectes), la biodiversité est bien moindre que jadis. Et Terre-de-nuit.jpgc’est à ce moment somme toute plus difficile pour la vie que l’un des occupants de la biosphère, l’Homme, a jeté toutes ses forces pour un changement radical de la Vie sur notre planète, un changement qui menace très certainement le bien commun. Cette fuite en avant sera-t-elle sans conséquence en une sorte d’évolution (presque) naturelle ou, au contraire, entraînera-t-elle des effets délétères sur cette Vie si chèrement acquise ?

 

 

 

Sources

 

1. www.cnrs.fr

2. histoiredutemps.free.fr

3. Wikipedia.org

4. www.futura-sciences.com

5. burgess-shale.rom.on.ca

   

 

Images

 

1. les sites du mont Burgess en Colombie britannique, Canada (sources : burgess-shale.rom.on.ca)

2. stromatolithes de l'île d'Akilia, au Groenland (sources : wildstonearts.com)

3. le supercontinent Rodinia (sources : Freshman Science Textbook)

4. faune d'Édiacara (sources : amandinechiocca.wordpress.com)

5. faune du schiste de Burgess (sources : animals-life.skyrock.com)

6. faune de Chengjiang (sources : burgess-shale.rom.on.ca)

7. Terre "boule de neige" (sources : feonor-journal.blogspot.fr)

8. trilobites (sources: fossimall.com)

9. la Terre de nuit (sources : www.attentionalaterre.com)

 

  (pour lire les légendes des illustrations, passer le curseur de la souris dessus)

 

 

Mots-clés :   stromatolithes  - Pangée - embranchement ou phylum - faune d'Édiacara - schiste de Burgess - Stephen J Gould - site de Chengjiang - sélection naturelle - mutation - photosynthèse - Terre boule de neige - gènes Hox - trilobites

 

  (les mots en blanc renvoient à des sites d'information complémentaires)

 

 

 

Sujets apparentés sur le blog

 

1. le schiste de burgess

2. les extinctions de masse

3. l'oeil, organe phare de l'Évolution

4. distances et durées des âges géologiques

5. la notion d'espèce

6. vie animale et colonisation humaine

7. la Terre boule de neige

 

 

  

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dernière mise à jour : 15 mars 2023

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